« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Par cette antanaclase, Pascal exprime le cœur du motif d'écriture de Guilleragues et de ses Lettres Portugaises : Mariane, foudroyée par un amour rendu impossible, s'adresse à son amant par une correspondance épistolaire afin d'en pallier l'absence. Au-delà de la dimension affective pour son destinataire qui transparaît dans ces lettres, les écrits de Guilleragues expriment en effet les contradictions que l'amour impose à l'âme humaine, le désordre passionnel opposé à la lucidité rationnelle. Comme nous pouvons le ressentir dès l'extrait que nous avons à étudier, la conclusion de la première lettre, de « Ne remplissez plus vos lettres de choses » à « faites-moi souffrir encore plus de maux », c'est avant tout pour elle-même qu'écrit Mariane : livrée à la solitude de l'être aimant, la religieuse se livre à une introspection intime, à la fois tiraillée par l'espoir du retour de son amant et l'angoisse de son abandon. Nous dessinerons le portrait de Mariane que révèle sa lettre et la vision pessimiste de l'amour de Guilleragues qui s'exprime en filigrane de cette peinture de l'âme tourmentée de la religieuse.
[...] Comme le désir, la lettre d'amour attend sa réponse la lettre de la religieuse développant un jeu de séduction habile pour provoquer le retour de son amant et ainsi conjurer la mauvaise fortune. Ainsi utilise-t-elle une variation de tons afin de provoquer une réaction violente chez son destinataire. Le début de l'extrait est en effet empreint d'une tonalité agressive ; Mariane est volontairement effrontée envers son amant afin de provoquer en lui une remise en question de son comportement, de faire vaciller la flamme de la passion pour qu'elle retrouve de sa vivacité. [...]
[...] L'absence d'hypocoristique, le portrait parfois méprisant de l'amant que dessine l'écriture de la religieuse Ne remplissez plus vos lettres de choses inutiles soulignent en effet l'étiolement inconscient de son amour dans une lettre qui en exprime pourtant l'intangibilité. Un amour refoulant la sérénité des âmes, faisant disparaître l'image de l'être aimé au profit du désir d'aimer est autant de visions dissonantes de l'amour courtois du début du XVII ème siècle. Bien que la lettre soit, dans sa dimension élégiaque, l'expression d'une âme passionnée, elle n'en demeure pas moins une stratégie de reconquête d'un amour éconduit. [...]
[...] L'extrait nous dévoile un portrait ambivalent de Mariane, à la fois consentante du destin tragique dont elle pressent la conclusion malheureuse, mais aussi nous présente-t-elle la volonté ferme de la religieuse de conjurer la mauvaise fortune, par le jeu de séduction dont elle use pour retrouver son amant. Par ce portrait se dessine une vision pessimiste de l'amour, coupable de souffrance et n'étant qu'une illusion nourrie d'égoïsme et d'artifice. L'extrait se présente alors comme le premier Acte du lent decrescendo sentimental de Mariane pour son amant : prenant conscience de l'illusion cruelle du sentiment amoureux, la religieuse refoulera ses sentiments pour retrouver la tranquillité de l'âme. [...]
[...] Très éloigné de se fondre dans une harmonie voluptueuse, l'amour de Mariane pour son amant est nourri d'illusions. C'est en effet dans un rapport réellement masochiste que se développe l'amour de la religieuse pour son amant. Une isotopie de la douleur et je ne veux plus être sensible qu'aux douleurs faites-moi souffrir encore plus de maux associée à l'auto flagellation insensée que je suis soulignent les effets destructeurs d'une passion amoureuse asservissante, Mariane préférant souffrir de son amour que d'y renoncer. [...]
[...] Que ne me laissiez-vous en repos dans mon cloître ? Vous avais-je fait quelque injure ? l'anaphore de l'adverbe interrogatif pourquoi soulignent les tourments intérieurs d'une âme en proie à un destin accablant. Si la tristesse de Mariane est provoquée par l'absence de son amant et un amour qu'elle ne peut assouvir dans ses yeux, la crainte de l'abandon conditionne également l'angoisse de la religieuse et son écriture. Si écrire c'est rendre l'autre plus présent, c'est aussi se rendre présent aux yeux de l'autre. [...]
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