Il y a eu des récits de voyage à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Dans l'Antiquité, les récits de périples ont décrit des contrées et des populations inconnues jusque-là. Les premiers exemples en sont le Périple du voyageur carthaginois Hannon et les Histoires d'Hérodote, récit de ses voyages en Asie Mineure, en Afrique du Nord et dans la région de la mer Noire. Les Histoires mêlent des considérations sur la géographie humaine à des descriptions de géographie physique. Mais les descriptions d'Hérodote comportent une part de merveilleux, celui qui imprégnait aussi les récits fabuleux de l'Antiquité, l'Histoire véritable de Lucien, ainsi que, quatre siècles auparavant, l'Odyssée d'Homère. Dans la description archétypale de la contrée merveilleuse, située aux confins du monde connu, figurent les évocations d'un bestiaire mythique et d'une flore fabuleuse. La tradition du récit de voyage dans une contrée imaginaire recoupe celle du voyage initiatique par excellence, celui de l'âme. Dans la Divine Comédie de Dante, l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis sont décrits comme des lieux effectivement visités. La géographie de l'Enfer, chez Dante, n'est pas moins précise que celle des mythes grecs de l'Hadès, avec sa topographie, ses fleuves et ses régions. Nous avons affaire ici à un récit de voyage puisque le marquis de Custine s'est effectivement rendu en Russie en 1839 et rend compte de ses observations à travers un ouvrage qui regroupe plusieurs lettres intitulé : La Russie en 1839 et publié en 1843. Custine y fait l'analyse d'un autre système politique et mode de vie. Mais "au-delà des considérations politiques qui ont fait sa gloire – encore un peu méconnue –, il y a quelque chose, chez Custine, qui n'a guère été souligné : ses qualités d'écrivain.", comme le fait justement remarquer Jean d'Ormesson dans un article du figaro littéraire "Astolphe de Custine, le devin marquis". Cet extrait nous offre un aperçu frappant de ces capacités à travers une description fournie mêlant réel et imaginaire mais traite aussi de la difficulté du dire de l'écrivain. On connaît en effet la sensibilité de cet auteur hanté par des considérations esthétiques. Nous avons ainsi un passage passablement excentrique par rapport au reste de l'œuvre où l'auteur traite longuement de l'imagination tout en faisant une évocation de Saint-Pétersbourg. Comment cet extrait, flirtant avec les topoï romantiques de l'imagination et de la description de la nature, reflète de la difficulté, de l'incertitude de l'écrivain ?
[...] Tout en faisant la description d'un paysage réel, Custine, dans son incapacité à dire la multitude et la complexité de ce qu'il a vu, fait appel à l'imagination pour rendre à son lecteur les impressions que le manque de contact visuel ne lui donne pas. Mais de là à ce que l'imagination se substitue au réel, il n'y a qu'un pas . Nous avons vu que ce texte peut être examiné sur une dimension lyrique. Il y a ainsi une mutation de l'écrivain en poète. Est ordinairement considéré comme poète celui qui est inspiré, i-e le vastes le devin qui interprète, auprès des hommes, les puissances divines et les voix de la nature ou encore le favori des muses. [...]
[...] L'imagination est d'abord présentée comme le domaine inquiétant de l'inconnu, de l'incertitude du vague (l.8). Tout ce qui agit sur l'imagination est un mystère (l.10,11), mystère qui se retrouve ligne 50 associé à l'obscurité La nuit (l.1) est naturellement associée à l'obscurité or est obscur ce qui manque de la clarté qui permettrait de le comprendre, on entre alors déjà là dans le domaine de l'irrationnel. Le terme deviner ligne suivante souligne cette impossibilité de comprendre rationnellement l'imagination : l'esprit s'abandonne à la rêverie (l.3). [...]
[...] Nous avons affaire ici à un récit de voyage puisque le marquis de Custine s'est effectivement rendu en Russie en 1839 et rend compte de ses observations à travers un ouvrage qui regroupe plusieurs lettres intitulé : La Russie en 1839 et publié en 1843. Custine y fait l'analyse d'un autre système politique et mode de vie. Mais "au-delà des considérations politiques qui ont fait sa gloire encore un peu méconnue il y a quelque chose, chez Custine, qui n'a guère été souligné : ses qualités d'écrivain.", comme le fait justement remarquer Jean d'Ormesson dans un article du figaro littéraire "Astolphe de Custine, le devin marquis". [...]
[...] Ainsi, l'existence même du paysage décrit est remis en cause. En effet, la difficulté que l'écrivain éprouve à dire est décuplée dans le cas où il cherche à dire ce qui n'est pas. Le terme d' absence répété dans le texte à trois reprises et ce, dès la première ligne peut désigner ce qui n'existe pas. L'auteur/poète doit alors deviner ce qu'il ne voit pas. L'obscurité, de la langue et du paysage, lui masque en effet la réalité et lui donne tout à voir par le joug de son imagination. [...]
[...] Nous verrons que la peur de l'imagination dont fait état Custine met en lumière la peine que le poète -au sens de personne dont l'œuvre suscite des sentiments, des émotions et des images souvent romantiques- a à assumer sa condition, puis nous constaterons comment la description, du fait de la difficulté du dire, concilie l'imagination et le réel. Enfin, nous verrons comment, à l'instar des romantiques, l'imaginaire de Custine se déploie dans le réel au point de se substituer à lui. Custine consacre une longue partie de réflexion à l'imagination. Il en traite durant les trente premières lignes durant lesquelles le mot revient à six reprises. Il la décrit comme une entité toute puissante et inquiétante, et ce faisant traite de son propre rapport à elle. [...]
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