Suivant directement cette plaidoirie, le texte étudié constitue pour sa plus grande partie un monologue intérieur, une réflexion du chevalier des Grieux sur la culpabilité de sa maîtresse et les motivations de son action. Celle-ci parait lui avoir ouvert les yeux sur la nature de Manon ; cependant, il tient à analyser son discours, s'attachant ses dires puis à son propre sentiment. Souci de justice ? Cette trahison apparente de Manon est la troisième… Mais nous ne nous intéresserons pas ici à la vérité de l'attitude de Manon, à sa nature énigmatique, mais plutôt à cette contradiction inhérente à des Grieux qui, une fois qu'on lui a ouvert les yeux, recherche désespérément le bandeau qui les lui voilait. Nous étudierons comment des Grieux, aveugle volontaire et victime centrale de la bataille sourde qui oppose tout au long de l'œuvre l'amour de Dieu à celui de la concupiscence, des plaisirs terrestres, cherche, par un discours qu'il veut raisonnable, à disculper son amour coupable. Ainsi, nous essaierons d'appliquer à cet extrait la théorie de A.J. Singerman exposée dans sa lecture augustinienne de Manon Lescaut selon laquelle tous les discours de des Grieux ne visent qu'à réhabiliter Manon afin de démentir l'évidence de sa propre déchéance et donc, sa culpabilité
[...] L'embarra où elle est plongée se trouve accentué par les conjonction mais et si dont le caractère hésitant est doublement renforcé par l'adjectif épithète interrompus qui contraste avec l'assurance dont fait preuve Manon au moment de débiter ses premières explications (Explications sincères ou discours préparé Cette réaction ne surprend pas le chevalier qui a pitié de sa peine. Entend-il par là son repentir ? En a t'on trouvé trace dans son discours ? Ne serait-ce pas plutôt sa peine à lui, la douleur de voir ses efforts réduits à néant par cet aveu bredouillé (aveu qui remet en cause tout le fragile édifice de son raisonnement), et c'est pour en éviter l'effondrement qu'il le rompt. [...]
[...] Elle ne pouvait espérer que G M la laissât toute la nuit comme une vestale. C'était donc avec lui qu'elle comptait de la passer. Quel aveu à faire à un amant ! Cependant je considérait que j'étais cause en partie de sa faute par la connaissance que je lui avais donné d'abord des sentiments que G M avait pour elle, et par la complaisance que j'avais eue d'entrer aveuglement dans le plan téméraire de son aventure. D'ailleurs par un tour naturel de génie qui m'est tout particulier, je fut touché de l'ingénuité de son récit, et de cette manière bonne et ouverte avec laquelle elle me racontait jusqu'aux circonstances mêmes dont j'étais le plus offensé. [...]
[...] Quel revirement ! Plus de cruelles intentions, plus de volonté délibérée de le faire souffrir, elle n'a agit que pour ce nous qui se retisse progressivement entre eux, au fur et à mesure de ses réflexions. La crudité de ses propos n'est en fait qu'une manière bonne et ouverte de lui confier la vérité de sa conduite. L'honnêteté devient un trait particulièrement aimable de son caractère ; et si cependant il continue à souffrir, c'est que l'enfer est pavé de bonnes intentions. [...]
[...] D'autre part, en chargeant ainsi Manon de toute la faute, il en vient même à oublier la responsabilité de G M Sa jalousie ne trouve son objet que dans l'action de sa maîtresse et non plus dans la personne de son rival. S'agirait-il d'un nouvel accès de solidarité aristocratique face au caractère populaire de Manon qu'il semble redécouvrir ? Le deuxième temps de la réflexion de des Grieux s'ouvre sur la conjonction cependant qui marque un tournant : après cette soudaine indignation, il retombe dans ses pensées, occultant définitivement la présence de Manon à ses côtés. [...]
[...] Manon aurait fait preuve de délicatesse en lui mentant. Sans affirmer que des Grieux aurait préféré le mensonge à l'honnêteté, nous voyons cependant un nouveau signe de sa lucidité : Manon lui a déjà menti, c'est dans son caractère et il trouve étonnant qu'elle n'en use pas ici en dépit de son affirmation : Je ne vous déguise rien ni de ma conduite ni de mes desseins. Néanmoins, l'aveu de son infidélité n'étant pas formulé par Manon, l'idée d'un souci de la dissimuler devient ici absurde. [...]
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