Pour Philipe LEJEUNE, l'autobiographie est le « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». C'est en effet cette démarche, inaugurée par Jean-Jacques ROUSSEAU avec Les Confessions, qu'adoptent de nombreux écrivains comme LEIRIS, PEREC, SARTRE…
Ainsi, en 1983, Nathalie SARRAUTE publie Enfance. Elle y privilégie l'esthétique du fragment, juxtaposant certains épisodes qui l'ont profondément marquée au cours de ses douze premières années. L'un des extraits de l'œuvre évoque, par exemple, un souvenir précis d'écolière, et plus particulièrement un exercice symbolique de l'apprentissage de l'écriture : la dictée. La scène familière est revécue grâce au présent de narration qui respecte la démarche analytique de la jeune fille face aux mots de la dictée. La focalisation interne convie le lecteur à épouser le cheminement psychique de l'enfant qui va bien au-delà de l'exercice scolaire.
Texte : « La maîtresse se promène dans les travées entre les pupitres […] Ici je suis en sécurité. » Comment l'investissement de l'enfant dans le rapport aux mots parvient-il à compenser le vide affectif laissé par la mère ?
[...] Mais l'école ne se conçoit pas isolée du monde affectif de l'enfant. Le fragment se construit sur une opposition métaphorique : ici/là-bas L'école est un refuge clos, protecteur mais menacé par l'irruption de l' autre vie Cette spatialisation est symbolique. Le morcellement du moi illustre le déchirement entre les mots de l'école ceux que l'on s'approprient, et les mots des autres, ceux qui vous assaillent, qu'on projette sur moi, qu'on jette en moi à mon insu La violence répétée de la métaphore insiste sur la menace diffuse que renferme cette autre vie. [...]
[...] La scène familière est revécue grâce au présent de narration qui respecte la démarche analytique de la jeune fille face aux mots de la dictée. La focalisation interne convie le lecteur à épouser le cheminement psychique de l'enfant qui va bien au-delà de l'exercice scolaire. Texte : La maîtresse se promène dans les travées entre les pupitres [ ] Ici je suis en sécurité. Comment l'investissement de l'enfant dans le rapport aux mots parvient-il à compenser le vide affectif laissé par la mère ? [...]
[...] Par ailleurs, le style direct reproduit la démarche intérieure du raisonnement sous une forme dialoguée qui concrétise la vigilance du sujet : regarde bien, ne passe rien attention, c'est un verbe Le dédoublement permet une mise à distance des mots grâce à une mise en scène de l'exercice de la dictée. Cette distance s'exprime aussi à travers l'analyse du comportement de l'enfant une légère angoisse m'habite ou mon contentement, mon apaisement sont vite suivis d'une nouvelle inquiétude Le lecteur peut se demander s'il s'agit d'interventions de l'adulte, ou un examen réflexif de l'enfant qui s'observe. Le présent superpose le narrateur et le personnage dans un je actualisé. Ainsi l'événement est revécu dans toute son intensité. [...]
[...] La dictée pour l'enfant, ce sont d'abord des mots. Le signe est répété huit fois dans le passage, toujours déterminé de plus en plus précisément, dans une sorte de gradation : chaque mot tel mot des mots choisis pour leur beauté ce mot que j'écris Progressivement, le mot acquiert une personnalité, il se met à exister dans le texte. La succession des propositions indépendantes détache les qualités propres du mot, sa beauté sa pureté parfaite sa forme qui se dessine avec élégance La netteté des consonnes dentales souligne l'autonomie du signifiant sonore que la maîtresse articule pour faire entendre par quelle lettre tel mot se termine Dès lors doté de vie, le mot s'avance dans l'environnement de la phrase avec aisance, avec une naturelle élégance et la rime souligne alors la qualité du signifiant graphique aux yeux de l'enfant. [...]
[...] L'initiation à l'écriture par la dictée métaphorise l'écriture autobiographique du livre : la quête de l'enfant qu'elle fut par la narratrice. La séparation du sujet de l'énonciation entre un je et un moi traduit son morcellement. La perception de l'identité n'est pas simple. L'école seule permet une reconnaissance de ce qu'on est, grâce à l'intercession positive de la maîtresse qui devient une mère de substitution. La maîtresse n'est pas nommée, elle est définie par sa fonction : elle possède et elle transmet le pouvoir des mots même elle triche un peu en accentuant exprès une liaison pour nous aider La maîtresse permet de s'approprier les mots, elle donne à l'enfant les règles qui lui permettent de s'identifier dans les mots qu'elle écrit, sans être contaminée par les mots des autres. [...]
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