"J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné." disait Baudelaire en parlant de son contemporain. En effet, si Balzac avait pour but de faire le portrait de toute une époque, la sienne, et d'en montrer ses effets, ses causes et ses principes, les quelques deux mille cinq cents personnages ou groupes de personnages qui composent - au fil des quatre-vingt-onze romans achevés - la Comédie Humaine, sont fictifs. L'écrivain, de la veine des réalistes, pouvait aisément retranscrire une ambiance et transposer des événements réels dans ses romans. Mais il n'en reste pas moins que cette observation des choses et des gens, qui se traduit par de minutieuses descriptions et une connaissance parfaite des sujets abordés, s'accompagne inévitablement de l'imagination, sans quoi ses écrits n'auraient pas la puissance qu'on leur accorde aujourd'hui...
[...] Il est conscient de la gravité de son affaire et de la bizarrerie de son histoire. Parler est pour lui l'occasion de se poser comme une personne. Cette prise de conscience de son individualité se traduit par les termes qu'emploie le narrateur pour le définir : au début de son récit, Chabert est un "défunt", puis, il devient le "client" pour Derville, qui ne le prend déjà plus pour un fou, et enfin, quand l'avoué le regarde fixement, il est redevenu "colonel". [...]
[...] En fait, quand il est sorti de la fosse sanglante, il est né une nouvelle fois, mais ce pour mieux mourir. Il est comparable au Sigismond de Calderon, dans La Vie Est Un Songe. Ce dernier, enfermé dans une tour, en ressort l'espace de peu de temps pour prendre sa place de prince, mais il retournera dans son cachot, tel un miséreux, après avoir goûté à la gloire. Le colonel, lui aussi, naît malheureux dans un hospice d'enfants trouvés et, après avoir connu le mérite d'une carrière brillante, retourne à l'hospice, mais cette fois pour les vieillards. [...]
[...] Les actions des combattants sont grandioses et leur mort ne l'est pas moins. On note ici le réalisme fantastique de Balzac, et c'est sûrement ce que fait penser à Derville que les faits sont "étranges" mais "vraisemblables. Même si Chabert fait son récit avec une "lucidité" qui surprend Derville, il n'en reste pas moins que c'est tout de même un "mort-vivant" qui parle : il est incertain sur ce qui concerne certains points de sa propre histoire. Il semble avoir été véritablement mort, puisque, alors qu'il était présent, il ne peut, comme il le dit lui-même, que "présenter plusieurs hypothèses". [...]
[...] Même s'il est présentable, il n'en reste pas moins une ruine appartenant de plus à l'ancien régime : la nouvelle société ne le reconnaît pas comme étant l'un des siens. L'opposition entre les deux temps est forte. Avant, Chabert avait un père, Napoléon Bonaparte, et il parle de lui avec toute l'admiration causée par l'amour filial. Il lui excuse tout : si il a négligemment demandé à ce que les chirurgiens aillent voir son pauvre Chabert, c'est parce qu' "il avait de l'ouvrage". [...]
[...] En effet, Derville met le nom du colonel à la troisième personne, le traitant comme quelqu'un qui est absent du récit. L'avoué semble chercher à provoquer une réaction de son client. Celle-ci ne se fait pas attendre, car Chabert, avec toute la simplicité qui semble être la sienne, réplique instantanément, et change l'expression pompeuse et officielle qu'est "la comtesse Ferraud, veuve du colonel Chabert" en une expression beaucoup plus personnelle et intime, "ma femme". Peut-être que cette réponse, irréfléchie et donc sans doute sincère, est un des arguments qui convint Derville de la sincérité de Chabert. [...]
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