Commentaire composé du chapitre 57 de Gargantua « Toute leur vie était dirigée ... comme au premier de leurs noces »

Résumé du document

Aux XVème et XVIème siècles se développe en Europe un nouveau courant littéraire et culturel : l'humanisme. Ce courant est principalement fondé sur une grande confiance dans le progrès de l'homme. L'utopie, proposée par l'humaniste anglais Thomas More, apparaît alors comme le moyen privilégié pour diffuser les idéaux humanistes. Il s'agit en effet de nous donner à voir un projet politique et social où l'idéal se substitue à la réalité. Il permet de révéler les dysfonctionnements de l'époque et ainsi de faire progresser les sociétés.
François Rabelais est un humaniste français de la première moitié du XVIème siècle. Il a très largement contribué à la diffusion de la pensée humaniste, notamment en rédigeant le roman Gargantua en 1534, c'est-à-dire 18 ans après Utopie de Thomas More.
Il a également exploité le sous-genre de l'apologue qu'est l'utopie dans le chapitre 57 en nous donnant à voir le mode de vie des habitants de l'abbaye de Thélème, construite à la demande du héros éponyme, le géant Gargantua afin de récompenser Frère Jean des Entommeures pour son soutien envers le Royaume d'Utopie lors de la guerre Picrocholine.
Nous verrons donc dans un premier axe qu'il s'agit d'une vision idéale de la société avant de montrer que cet extrait présente une vision nouvelle de l'espace religieux. Enfin, nous nous attacherons à montrer les raisons et les limites de cette utopie.

Extraits

[...] Par ailleurs, l'importance de l'éducation est mise en relief par l'expression bien instruits En effet, elle est à la source de nombreux talents comme la chasse à courre, la lecture, le chant. Ces talents sont présentés sous la forme de longues énumérations afin d'en souligner l'ampleur : talents aussi bien intellectuels : lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq à six langues et en celles ci composer, tant en vers qu'en prose que physiques : Jamais ne furent vus chevaliers si preux, si galants . maniant mieux toutes les armes. L'énumération est ici doublée d'une utilisation de l'adverbe intensif si et de la négation ne . [...]

[...] C'est pour cette raison que cette abbaye est destinée à une certaine élite : Thélème accueille une élite déjà formée aux principes humanistes et capable de se fixer elle-même des limites. Ses habitants finiront donc par se créer leur propre règle, celle de suivre la volonté des autres. Ceci nous montre la limite de l'utopie : l'homme est dans tous les cas obligé de vivre avec des règles, qu'il les fixe lui-même ou qu'elles lui soient imposées. De plus, pour que ce principe fonctionne, il doit être appliqué par une société particulièrement bien éduquée et qui a donc déjà acquis des règles de savoir-vivre. [...]

[...] Par ailleurs, les deux phrases suivantes sont construites sur des parallélismes de construction : quand bon leur semblait et quand le désir leur venait Nul ne les éveillait et Nul ne les forçait . Elles permettent de ce fait d'insister sur la présence d'une complète liberté et d'introduire de nouvelles valeurs, le désir et le plaisir, inconnues du monde religieux. On peut donc assimiler cette abbaye à une anti-abbaye où l'on trouve une véritable subversion des règles propres à une abbaye traditionnelle. [...]

[...] Par conséquent, il lui semble normal et même vertueux de combattre la servitude pour vivre libre. Pour le démontrer, il met en place un traité de rhétorique constitué d'un raisonnement logique : Rabelais énonce la condition, la contrainte : quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte puis il énonce la conséquence : détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu et enfin le but : afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude Ainsi, la contrainte de la règle est présentée paradoxalement comme une incitation à la transgression et à la faute. [...]

[...] Ainsi, le narrateur insiste et accentue la mesure de leurs talents. Les valeurs énoncées (éducation, chevalerie . ) appartiennent au Moyen Age : Rabelais choisit donc pour former sa société idéale l'élite noble de la société moyenâgeuse. Le raffinement de cette société est également suggéré par le choix du vocabulaire : les haquenées sont des juments généralement montées par des dames, le palefroi est un cheval de promenade richement harnaché. Toutes les qualités sociales requises pour faire partie de cette société idéale font de ses habitants une élite, qui doit par ailleurs posséder de nombreuses qualités morales. [...]