L'univers carcéral a depuis toujours fasciné les hommes, par le secret dont il s'entoure, mais aussi parce qu'il apparaît dans l'inconscient collectif comme une expérience ultime de retour à soi, et de mort au monde.
Stendhal succombe à la tentation de cette thématique dans la Chartreuse de Parme, mais nous propose une vision très paradoxale de la prison. En effet, dans le second livre, la fuite de Fabrice après le meurtre de Giletti prend fin et « notre héros » est conduit à la tour Farnèse, symbole monumental de l'arbitraire du pouvoir parmesan. Alors que, depuis son périple vers Waterloo, Fabrice redoute cette prison annoncée par tous les présages, il découvre au chapitre XVIII une réalité carcérale bien éloignée de ses conceptions. Ainsi, sa cellule, loin du cliché sinistre du cachot qu'il a lui-même expérimenté durant trente-trois jours avant de rejoindre Waterloo, lui apparaît comme un lieu de retraite des plus agréables qui charme son âme. Or cette âme vient d'être bouleversée par une apparition céleste sur le seuil de l'emprisonnement : la figure de Clélia Conti et son regard empli de compassion. Séparé par les murs de la tour de cette jeune personne pour laquelle il vient de succomber, Fabrice connaît alors un rare bonheur qui le fait douter de la nature du lieu où on le retient, et où il resterait de son plein gré, en se demandant sans cesse : « Mais ceci est-il une prison ? » Cette prison qui isole, qui prive, permet pourtant de vivre une expérience esthétique des plus intenses, qui alliée à l'amour permettra d'atteindre le bonheur.
[...] Or, en ce qui concerne notre héros la vie en société ne lui sera possible qu'auprès de Clélia dans une demi-mesure, puisque leur amour prend vie hors de la société, dans l'ombre et le silence. Fabrice ne sera au grand jour que l'ombre de ce qu'il vient de découvrir de sa propre nature. Une fois que son amour lui sera arraché par la mort, il se retirera complètement de la communauté des hommes pour rejoindre, dans la chartreuse, l'isolement et le silence auxquels Clélia l'a prédestiné. [...]
[...] Après une première approche dans le clocher de Blanès, Fabrice, héros restitué, prend goût au silence. Cette élévation, tant physique que spirituelle, et ce bonheur qui irradie son âme ne sont-ils pas les signes de cette forme d'héroïsme [ ] qui n'est pas celui du soldat, mais [celui] du saint ? (Jean Paul Santerre) Fabrice fait montre en prison d'une soumission totale et d'une acceptation de sa condition. Aussi il nous faut maintenant revenir au beau nom d'Obéissance passive que porte la cellule de Fabrice. [...]
[...] Mais il se peut aussi que cette sorte de coup de foudre entre les deux personnages soit la conséquence de la rencontre de deux sensibilités similaires, auquel cas Fabrice et Clélia, comme la suite du roman tendrait à le prouver, auraient un même rapport au sublime. Le bonheur s'inscrit donc dans une sorte de communion avec la nature et avec l'être aimé. D'une approche d'abord purement visuelle, le bonheur devient rapidement une expérience qui se saisit de tout l'être de Fabrice et le transporte. Il ne peut être qu'individuel, il est alliance de la perception du sublime et de la passion dévorante et semble se suffire à lui- même. [...]
[...] La tour Farnèse, cette incarnation du despotisme, tant redoutée dans la Chartreuse de Parme par tous les personnages n'apparaît pas à Fabrice telle qu'on la lui avait dépeinte. En effet, elle se présente tout d'abord comme un chef d'œuvre architectural, où tout est qualifié de beau de charmant de joli et ce par trois occurrences du terme. La cellule possède même un nom, comme les pièces des demeures prestigieuses, celui d' Obéissance passive auquel il nous faudra revenir. La description des jolies cages des oiseaux de Clélia est peut être plus troublante encore, et il est facile d'assimiler la position de ces volatiles à celle de Fabrice, tous retenus dans un lieu qui se présente comme confortable. [...]
[...] Il ne retrouve pas l'isotopie de la prison et constate que les signes sont inversés : Mais ceci est-il une prison ? Est-ce là ce que j'ai tant redouté ? Il y a une opposition manifeste entre ce que voit Fabrice et ses connaissances. Le bonheur est donc quelque chose qui surprend, qui est de l'ordre de l'imprévu et de l'instantané : on ne peut pas construire soi-même son bonheur. Il répond de la spontanéité et semble être un don de la providence. Fabrice est celui qui sait jouir du temps qui est offert sans se préoccuper de l'avenir. [...]
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