Si les tempêtes ont fait les délices des descriptions romantiques, la pluie est d'ordinaire plutôt le fait d'évocations symboliques de l'ennui. Or, Jean Rouaud, dans Les Champs d'honneur, paru en 1990, consacre les premières pages de son roman à classer avec humour les différentes pluies. L'averse ici scrupuleusement analysée martèle toits et rues de Nantes. C'est par le jeu des sensations multiples que le lecteur perçoit cette description originale. Par-delà la banalité de l'événement, l'auteur a su transfigurer poétiquement cette giboulée.
[...] Ce regard, comme l'ouïe précédemment, est très précis avec une précision de graveur ; l'acuité du regard Il est donc attentif aux angles : les accroche-cœurs de pierre des flèches de Saint-Nicolas, la découpe des feuilles des arbres, les rémiges des oiseaux de haut vol, la ligne brisée des toits, les antennes-perchoirs une enseigne au coin des rues des clous d'argent L'auteur décrit la ville sous le mode de l'énumération : d'abord, les différents matériaux de couverture, au nombre de quatre, puis les contours, au nombre de cinq, enfin la balade dans les rues, avec les trottoirs les autobus les vitrines lavées de près le dôme des arbres l'air et enfin la ville elle-même. Cette description met alors en valeur la lumière particulière de la ville, et d'abord celle des matériaux choisis, ardoise tôle ou verre qui déclinent des nuances du gris au transparent. Ces nuances sont reprises par la synthèse du ciel nantais : une voûte de mercure tremblote au-dessus de la ville Sous cet éclairage vif-argent . [...]
[...] Enfin, on l'a vu, ces couleurs évoluent du bleu au cristal en passant par le blanc ; cette évolution, outre l'avènement de la transparence, est aussi celle de la lumière la lumineuse clarté d'une cloche de cristal Cet avènement final de la lumière apparaît comme le sommet d'une transfiguration poétique du réel. Le texte débute par un jeu de mots (sur le verbe rigoler qui décrit à la fois l'action normale de la pluie (couler le long des rigoles) et la transfigure déjà (en la personnifiant). [...]
[...] Ses effets sur la ville. Description de la ville. Une ville en mouvement. II. Evocation des sens. L'ouïe. La vue. [...]
[...] L'acuité du regard repère une enseigne à cent mètres et aussi l'importun qu'on peut éviter. Les trottoirs reluisent bleu comme le ventre des sardines vendues au coin des rues, à la saison. Les autobus passent en sifflant, assourdis, chassant sous leurs pneus de délicats panaches blancs. Les vitrines lavées de près resplendissent, le dôme des arbres s'auréole d'une infinité de clous d'argent, l'air a la fraîcheur d'une pastille à la menthe. La ville repose comme un souvenir sous la lumineuse clarté d'une cloche de cristal. Plan I. L'averse. [...]
[...] Par ailleurs, en mouillant la ville, elle fait relui[re] les trottoirs, lave] de près les vitrines, ou auréol[e] d'une infinité de clous d'argent les arbres ; son influence est donc générale. La ville est d'abord perçue par le haut, en suivant le mouvement de la pluie ; elle est donc décrite d'en haut, et l'on voit les matériaux de couverture et leur diversité. Depuis le zinc des fenêtres les gouttières ou les toits le lecteur va jusqu'à ardoise, la plus fréquente au nord de la Loire tuile d'une remise [les] bois et tôles d'un hangar, verre d'une lucarne La vision se précise alors, passant des matériaux chair de la ville aux contours des édifices ou des arbres mise en forme de cette chair : les accroche-cœurs de pierre des flèches de Saint-Nicolas, la découpe des feuilles des arbres, les rémiges des oiseaux de haut vol, la ligne brisée des toits, les antennes-perchoirs Enfin, ces formes prennent vie, avec le passage d'une description encore statique à un début de mouvement. [...]
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