Cette pièce ne manque pas d'intérêt. Elle appartient éminemment à l'univers cornélien. Son mécanisme rappelle celui de Rodogune. Les deux jeunes princes aux prises avec Attila nous font songer à Antiochus et Seleucus, victimes d'une mère impitoyable. La consultation politique du premier acte évoque celle du second acte de Cinna. Ildione fait parfois penser à Émilie. Attila représente le tableau historique d'un moment crucial de l'humanité, la menace terrible qui pèse sur quatre victimes prises au piège d'un tyran.
Attila, le vaincu encore redoutable des Champs Catalauniques (451), cherche à rétablir sa fortune par un mariage politique : a-t-il intérêt à épouser la princesse franque Ildione, sœur du roi Mérovée, ancêtre probable de tant de grands rois, ou la princesse romaine Honorie, sœur de l'empereur Valentinien, mariage qui lui ouvrirait peut-être l'accès à l'Empire? Il consulte deux jeunes rois, ses vassaux Ardaric et Valamir, pour les compromettre. Mais ceux-ci ne lui donnent pas un conseil désintéressé, car Ardaric aime Ildione et conseille à Attila de jeter son dévolu sur la jeune Romaine, tandis que Valamir, amant d'Honorie, lui donne le conseil inverse. Attila est trop fin pour être dupe.
Au second acte, les deux princes vont consulter leurs amantes. De caractère différent, toutes deux sont soucieuses de leur gloire. Il faut à Honorie un roi, mais un roi indépendant. C'est ce qu'elle affirme hautement à Valamir (II, 2). A son tour Ardaric vient interroger Ildione (II, 6). Celle-ci avoue aussitôt que son cœur penche pour Ardaric, mais victime d'État, elle se doit ailleurs, c'est-à-dire, en vertu de l'alliance, à Attila. Ardaric l'excite à devancer le choix d'Attila et à déclarer si elle l'aime, lui, Ardaric. Une fois de plus elle le laisse entendre. Ardaric insiste « Mais vous épouserez Attila ». Elle en convient. Ardaric ulcéré l'accuse alors de manquer de cœur (c'est-à-dire de courage). Elle réplique avec vivacité dans une longue tirade qui occupe la fin de la scène (II, 6, v. 669-708) et où elle s'explique entièrement.
[...] Je l'épouserai donc. Voilà quelle je suis. Ainsi, la force est la qualité principale de ce style. Le vocabulaire est très abstrait; la plupart des noms expriment des sentiments. Il faut remarquer le nombre considérable des articulations logiques. Peu d'adjectifs, aucun qui ait quelque couleur ou pittoresque. Quelques mots ou expressions vieillies : que je vous die . une déférence où . lors . voilà quelle je suis. [...]
[...] Commentaire : Attila de Corneille. Acte II Scène I Sommaire Document Situation de la tirade L'amour pour Ardaric Le mariage avec Attila L'intention meurtrière Le rôle dans la pièce Le style oratoire Document Ildione Il faut donc qu'avec vous tout à fait je m'explique. Écoutez ; et surtout, seigneur, plus de réplique. Je vous aime : ce mot me coûte à prononcer ; Mais puisqu'il vous plaît tant, je veux bien m'y forcer. Permettez toutefois que je vous die encore Que si votre Attila de ce grand choix m'honore, Je recevrai sa main d'un œil aussi content Que si je me donnais ce que mon cœur prétend : Non que de son amour je ne prenne un tel gage Pour le dernier supplice et le dernier outrage, Et que le dur effort d'un si cruel moment Ne redouble ma haine et mon ressentiment ; Mais enfin mon devoir veut une déférence Où même il ne soupçonne aucune répugnance. [...]
[...] Le devoir exige encore une sorte de déférence à l'égard du roi qu'on accepte. Ce mouvement de l'âme qui a fait dire à Péguy que, chez Corneille, le Devoir est aimé d'amour se trouvait chez Pauline, mais comme Polyeucte était digne d'elle, du même coup il créait l'amour Je donnai par devoir à son affection Tout ce que l'autre avait par inclination. (Polyeucte, vers 215-216) Mais ici il s'agit surtout d'une attitude extérieure telle qu'Attila ne devine aucune répugnance. L'intention meurtrière Ildione indique d'abord que le mobile qui la conduit est la gloire. [...]
[...] La netteté de cette composition nous montre bien que si les sentiments d'Ildione paraissent complexes, et si son âme paraît écartelée, elle garde une entière lucidité pour peser ses arguments et ses décisions. L'amour pour Ardaric Si l'on étudiait les différentes expressions qu'Ildione a employées pour répondre à Ardaric qui la pressait de se déclarer, on prendrait une bonne leçon de maintien. Comment, dans quelles circonstances, en quels termes, avec quelle progression soigneusement étudiée, une jeune fille noble peut laisser entendre, révéler peu à peu et enfin déclarer son amour. C'est devers vous qu'il penche; S'il vous faut des souhaits . des regrets . [...]
[...] Ainsi, Ildione se situe à côté des héroïnes cornéliennes comme Émilie qui voulait venger son père et débarrasser le monde d'un tyran ou Rodogune qui n'ensanglantera pas ses mains, mais excitait ses amoureux à la débarrasser de Cléopâtre et même de Cornélie qui voulait venger Pompée dans le sang de César. Adorables furies! Le rôle dans la pièce Cette tirade clôt le second acte. Celui-ci a complété l'exposition, mais n'a pas fait avancer l'action. Nous sommes au point mort. L'action proprement dite va être déclenchée au début du troisième acte. Le général romain qui commandait les alliés contre Attila vient de mourir. L'empereur par jalousie s'est défait de son meilleur appui. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture