Commentaire de l'âge d'homme de M. Leiris

Résumé du document

Si personne ne semble, à la lecture de l'incipit des Confessions, connaître Rousseau mieux que lui-même, Michel Leiris adopte face à l'écriture autobiographique une position bien différente. Ecrire sur soi ne permet pas de dresser l'autoportrait d'un sujet a priori parfaitement appréhendé, mais bien de dégager l'essence et la vérité d'un moi qui ne parvient guère à se saisir lui-même. C'est dans une véritable odyssée de la connaissance de soi que l'écriture de l'Age d'homme achevée en 1939 va entraîner Leiris, auteur qui n'hésitera pas à se mettre en danger sous la menace de la plume pour retrouver sa vérité. Dans cet extrait intitulé « gorge coupée » du premier du chapitre « la tête d'Holopherne », le jeune Leiris piégé par ses parents et son médecin subit une violente opération des végétations sans anesthésie qui le marquera de façon irrémédiable. Cette section se divise en deux parties significatives. La première constitue le récit de l'évènement brutal en question et occupe les deux premiers paragraphes. La seconde partie est, elle, une réflexion de l'écrivain inscrite dans le présent de l'écriture qui tire les conséquences de cette trahison des adultes.

Extraits

[...] Ainsi, le dernier paragraphe de cette section, introduit par Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance.» propose au lecteur une double interprétation de la scène. Tout d'abord celle de l'enfant qui se trouve face à cette réelle violence dans l'incompréhension la plus totale et ne perçoit qu'une trahison : je ne comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une perfidie atroce de la part des adultes, qui ne m'avaient amadoué que pour se livrer sur ma personne à la plus sauvage agression. [...]

[...] La question philosophique est vaste, et si on sait qu'un homme n'est pas qu'un bipède sans plume le définir reste peu aisé, et le comprendre bien plus encore. Mais plus encore que l'essence de l'homme, est- il vraiment possible de découvrir celle d'une individualité ? L'écriture autobiographique telle qu'elle est mise en pratique dans l'Age d'Homme peut s'avérer un moyen d'investigation novateur et certainement productif de ce qui fait notre singularité, mais est-ce vraiment suffisant ? Parviendra-t- on à cerner l'homme ? [...]

[...] La première constitue le récit de l'évènement brutal en question et occupe les deux premiers paragraphes. La seconde partie est, elle, une réflexion de l'écrivain inscrite dans le présent de l'écriture qui tire les conséquences de cette trahison des adultes. Cependant, écrire sur soi soulève de nombres questions et pose des problèmes à la fois pratiques et stylistiques : comment palier l'outrage du temps sur la mémoire, comment jongler avec légèreté entre les perceptions premières d'un évènement et celle que la maturité apportera par la suite ? [...]

[...] Cet échec allié à la terreur ressentie aura un long effet castrateur qui renverra l'enfant à son statut d'être inférieur et soumis. Il faudra attendre l'âge de douze ans pour qu'une nouvelle occasion de faire ses preuves se présente, épreuve initiatique seconde qui permettra de progresser vers ce statut d'homme questionné par Leiris. Ainsi, l'âge d'homme ne semble pas être un état que l'ancienneté en ce bas monde peut conférer, comme c'est par exemple le cas de la majorité civile. L'homme se construit petit à petit au cours de nombreuses épreuves qui permettent d'approcher toujours un peu plus de l'idéal désiré. [...]

[...] Ayant une plus grande expérience du monde, l'adulte connaît bien la maladie et la mort et sait que tout individu y est destiné. Il nous faut d'ailleurs remarquer que le mot mort n'apparaît jamais directement, mais qu'on le devine latent sous d'autres termes frappants : chair à cercueil l'abattoir Alors que pour l'enfant cet évènement correspond à une chute, à une perte de l'insouciance et aussi certainement de l'innocence, c'est une première confrontation avec la réalité de l'existence qui est ici vécue. [...]