« L'écriture d‘une scène, la composition d‘un personnage, doit s'appuyer sur une recherche minutieuse. Un livre est une perpétuelle fusion de l'illusion et de la réalité, celle que construit l'écrivain […] Mais tout dans une œuvre d'art est inventé ». C'est ainsi que Gustave Flaubert dans une lettre à Isabelle Cohen souligne que l'essence du réalisme dans un roman réaliste est à rechercher dans la façon dont l'œuvre même est construite et non en elle-même; car la seule réalité d'un récit est celle que l'écrivain lui confère.
Cette idée est reprise par Claude Simon, lors du discours présenté à la remise du prix Nobel en 1985, lequel énonce:
« Les personnages de ces récits n'ont d'autre réalité que celle de l'écriture qui les instaure : comment donc cette écriture pourrait-elle s'effacer derrière un récit et des événements qui n'existent que par elle? En fait, de même que la peinture lorsqu'elle prenait pour prétexte telle scène biblique, mythologique ou historique (qui peut sérieusement croire à la « réalité » de telle Crucifixion, de telle Suzanne au bain ou de tel Enlèvement des Sabines?), ce que l'écriture nous raconte, même chez le plus naturaliste des romanciers, c'est sa propre aventure et ses propres sortilèges.»
Simon critique ici, à travers une question rhétorique, l'idée selon laquelle les personnages, les péripéties, les récits eux-mêmes existent indépendamment de l'écriture qui les crée; ces éléments sont pour lui totalement fictifs. Il vise donc la croyance naïve de la majorité des lecteurs selon laquelle ce qui est écrit existe au-delà de l'écriture qui les met en scène.
Simon fait aussi référence au naturalisme, qui affirmait pourtant se nourrir de l'histoire de la vie des vrais ouvriers sous le Second Empire.
Dans quelle mesure peut-on alors affirmer que le réalisme est une illusion de réalité? En quoi l'écriture organise-t-elle le récit et tous ses éléments qui n'existent que par et grâce à elle ?
[...] Par conséquent, ce qui caractérise un mouvement littéraire est l'essence de son écriture et non pas son essence même; l'essence du réalisme est à rechercher dans l'essence de son écriture. Ainsi, les éléments caractéristiques de la littérature réaliste ne dépendent que de l'écriture qui les instaure. Les descriptions méticuleuses, le contrôle asphyxiant opéré par l'auteur sur le caractère des personnages et la fiction des péripéties ne font que confirmer leurs limites dans l'instauration d'une réalité quelconque. Plusieurs auteurs n'ont pas eu de mal à affirmer que l'essence du réalisme réside plutôt dans la forme que dans les contenus, que le réalisme ne constitue qu'une parfaite illusion lointaine de tout fondement réel. [...]
[...] Les péripéties n'ont, elles non plus, pas de réalité intrinsèque. Le roman de Stendhal est en effet riche en coups de théâtre et en action, mais rien ne réussit à détourner le protagoniste de son destin. A rien ne sert que l'auteur lui offre la possibilité d'une nouvelle vie au service du Marquis de la Mole: Julien ne peut échapper à son sort. Son apaisement momentané n'est qu'une illusion. Quand sa vie semble être proche de prendre enfin un tournant heureux, son passé ressurgit à travers la lettre de Madame de Rênal. [...]
[...] Si la réussite du réalisme ne dépend que de la qualité de la fiction qu'il met en place, il est évident que le seul élément réel de ce mouvement est l'écriture qui en instaure les éléments. C'est dans une autre lettre à Mme Cohen que Flaubert s'exclame: Mais Madame Bovary, c'est une histoire totalement inventée, je n'y ai rien mis ni de mes sentiments, ni de mon existence. [ ] La Bovary n'a jamais existé, elle est une création artistique. Le contenu du réalisme est donc une nouvelle fois présenté dans sa fiction et dans son illusion. [...]
[...] L'écrivain s'est inspiré de nombreuses sources pour tracer la personnalité de Sorel. On retrouve dans l'œuvre de nombreuses ressemblances aux scandales de faits divers dont Antoine Berthet et Adrien Lafargue s'étaient rendus protagonistes. Tous les deux vécurent ce que Stendhal fera revivre à son personnage. Le contrôle total de la personnalité du protagoniste est ici évident. Le personnage n'a ici aucun destin propre, aucune indépendance, mais ne fait que suivre la volonté de l'écrivain. Il est donc impossible de parler de réalisme également au niveau des personnages. [...]
[...] Elle essaie d'échapper à la monotonie et à l'ennui de sa vie avec quelques tentatives extraconjugales malheureuses. Emma est destinée à succomber; tout événement n'a que la fonction de prolonger son mal-être. Les éléments qui caractérisent tout récit réaliste n'ont donc aucune réalité propre, mais dépendent entièrement de la construction que l'écrivain souhaite donner à son œuvre. La réalité mise en scène dans le réalisme n'est en fait qu'une illusion; qu'une vaine reproduction d'une réalité fictive. Il est alors nécessaire de se demander ce qui peut constituer la réalité d'un récit. [...]
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