Certes, Camus se méfie des symboles : « Nous ne gagnerons pas notre bonheur avec des symboles », écrit-il dans l'Été. Pourtant, le thème de l'eau, omniprésent dans la Chute, est susceptible, de par sa récurrence et ses connexions avec les principaux épisodes du livre, d'atteindre au statut de symbole et par là même de proposer une voie d'entrée privilégiée dans l'énigmatique confession de Clamence. Mais la réticence même de Camus face aux symboles tend à jeter le discrédit sur cette piste de lecture, qu'il convient alors de manipuler avec prudence.
Essentielle, la figure de l'eau l'est avant tout parce qu'elle assure l'unité d'un récit a priori condamné à l'éclatement par les conditions mêmes de la narration : diffraction en plusieurs journées, les cinq rencontres n'épousant d'ailleurs pas le cadre des six chapitres, discours fleuve d'un bavard invétéré amoureux du « beau langage » (p. 10) et de sa propre parole, qu'il surcharge à loisir d'artifices rhétoriques, récit livré aux hasards de la mémoire et aux libres associations de pensées, conversation à bâtons rompus servant de cadre à la confession de
Clamence.
[...] Le symbole est en effet l'ultime scorie d'aspirations spirituelles contrariées. C'est à l'eau qu'il revient de signifier à la fois l'échec de Clamence et l'échec des symboles. Le récit, nous l'avons vu, boucle sur l'évocation du plongeon avorté. Or l'eau est symbole de la circularité et du renouvellement. Mais il n'y a aucun renouvellement, aucun renouveau dans la Chute: seulement répétition qui ressasse, par la parole et le souvenir, le même acte manqué. Ainsi, Clamence n'est peut-être qu'une ultime variation sur la, figure de Sisyphe. [...]
[...] LA CHUTE D'ALBERT CAMUS Le thème de l'eau dans la Chute. Certes, Camus se méfie des symboles : Nous ne gagnerons pas notre bonheur avec des symboles écrit-il dans l'Été. Pourtant, le thème de l'eau, omniprésent dans la Chute, est susceptible, de par sa récurrence et ses connexions avec les principaux épisodes du livre, d'atteindre au statut de symbole et par là même de proposer une voie d'entrée privilégiée dans l'énigmatique confession de Clamence. Mais la réticence même de Camus face aux symboles tend à jeter le discrédit sur cette piste de lecture, qu'il convient alors de manipuler avec prudence. [...]
[...] Force est de constater que la Chute accumule les stéréotypes autour de l'image de l'eau. Certes, Clamence les orchestre avec brio, mais les significations qui relèveraient d'un symbolisme de l'eau n'en demeurent pas moins des topoï culturels, littéraires ou psychanalytiques éculés. Dans cette eau qui ne cesse de tomber (pluie ou neige) ou d'évoquer l'abîme (eaux noires), le symbolisme de la chute se fait irritant de redondance et de banalité, d'autant qu'il ne mène à aucune rédemption, aucun nouveau baptême. [...]
[...] 106), l'amour de Camus pour la figure d'Ulysse. Odyssée intérieure, la Chute trouve sans aucun doute dans le réseau des canaux concentriques d'Amsterdam un symbole (ou simplement un miroir) des méandres de la pensée torturée et tortueuse de Clamence. Ce miroir des eaux, cependant, est trouble, marqué de reflets incertains, fuyant comme l'est la confession du juge-pénitent. Clamence ne choisit pas pour cadre de sa parole les eaux claires et précises de la Grèce (pp. 104-105), mais le miroir plombé des eaux mortes. [...]
[...] 103), toutes les illusions, toutes les mystifications aussi, sont possibles, parce qu'il n'y a pas de repères : Ce n'est pas de la navigation, mais du rêve déclare Clamence à propos du voyage sur le Zuiderzee (id.). Métaphore de la parole, l'eau contribue à jeter le doute sur la confession. Clamence lui-même dira dans sa conclusion : il est bien difficile de démêler le vrai du faux dans ce que je raconte (p. 125). Mais cette confession est autant masque (p. 145) que miroir (p. 146). Comme les eaux. [...]
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