Les chefs-d’oeuvre du passé sont bons pour le passé, ils ne sont pas bons pour nous, Antonin Artaud, oeuvres du passé, création littéraire, auteur contemporain
Dans Le Théâtre et son double , Artaud pose les jalons d'un théâtre moderne, révolutionnant la scénographie, l'architecture scénique et la fonction du texte qui devient une simple composante du spectacle, tout comme la danse et la musique, et se pose ainsi en rupture avec un théâtre plus traditionnel. Aussi n'est-il pas surprenant de lire dans cet ouvrage : « les chefs-d'oeuvre du passé sont bons pour le passé, ils ne sont pas bons pour nous ». Artaud confère ainsi une dimension temporelle aux chefs-d'oeuvre, c'est-à-dire aux oeuvres littéraires majeures, qui ne seraient alors « bons », qui ne conviendraient, qui auraient une utilité, qu'à leur temps et, plus encore, ne seraient « plus bons », ne conviendraient plus, au lecteur contemporain s'ils appartiennent au passé. Cette thèse semble toutefois surprenante, tant notre culture littéraire est nourrie des chefs-d'oeuvre du passé, et suscite ainsi de nombreuses questions.
[...] Ces œuvres majeures du passé semblent de surcroit être la source des nouveaux chefs-d'œuvre. En effet, tout auteur est avant tout lecteur, et possède ainsi une culture littéraire de laquelle il ne peut se défaire. Certes il peut ne pas prendre les chefs-d'œuvre du passé comme modèle et au contraire les rejeter, mais il ne s'en défait pas pour autant. Dans Racine et Shakespeare, Stendhal suggère de rompre avec l'esthétique classique dont Racine est le modèle, pour adopter une forme théâtrale plus libre, sans unité de temps, de lieu ni d'action, et ainsi prendre comme modèle le théâtre de Shakespeare. [...]
[...] C'est le cas pour Art de Yasmina Reza, pièce qui pose la question de l'accès à l'art contemporain en mettant en scène trois personnages et leurs réactions face à l'achat d'une toile blanche à un prix exorbitant par l'un d'eux, ce qui nous rappelle les Précieuses Ridicules, de Molière, dans la mesure où, dans les deux pièces, se pose la question de la limite entre une volonté d'être quelqu'un de cultivé, et le ridicule. Il apparait ainsi que les chefs-d'œuvre du passé deviennent bons pour le présent, tout simplement parce qu'ils participent activement à la création littéraire. [...]
[...] Comment définir alors un chef-d'œuvre, si ce n'est par sa résistance au temps ? Seule la survie à travers les siècles de la trilogie de Castellucci nous permettra alors de la considérer comme chef-d'œuvre du théâtre du XXIème siècle, car c'est en effet le temps qui semble être le facteur déterminant des chefs-d'œuvre ; c'est seulement aujourd'hui que nous pouvons considérer comme tel les chefs-d'œuvre du passé, et cela d'autant plus que certaines œuvres ont d'abord été oubliées ou négligées par leurs contemporains, pour ensuite atteindre le statut de chef-d'œuvre. [...]
[...] Certes ils ont été sélectionnés, ont reçu pour certains d'entre eux des prix, mais le lecteur s'en étonne souvent. Chaque année le jury du prix Goncourt récompense une œuvre littéraire qu'il juge majeure et donc qui pourrait devenir un chef-d'œuvre. Mais chaque année, la décision du jury est contestée, que ce soit pour les Bienveillantes de Jonathan Littell, mémoires fictives d'un ancien officier SS, ou encore pour les romans de Houellebecq -dont le dernier, La Carte et le Territoire, a été primé par le jury Goncourt- sont systématiquement controversés. [...]
[...] Enfin, la confrontation du présent et du passé n'est-elle pas la source la plus féconde de la création littéraire ? Il semble en effet qu'une œuvre littéraire, et particulièrement un chefd'œuvre, soit inhérente à son temps, comme en témoigne les rejets successifs de l'histoire littéraire. En effet, en étudiant l'histoire littéraire, on observe de multiples ruptures survenant entre les différents courants littéraires. Le théâtre d'avant-garde de Beckett et Ionesco par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, bouleverse le théâtre traditionnel, en se détachant de l'intrigue, du vraisemblable, de l'espace et du temps. [...]
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