La poésie de circonstance est vouée par sa nature même aux oubliettes de l'Histoire, car elle devient lettre morte quand l'événement qui l'a inspirée ne mérite pas de figurer dans les annales. Volontiers péjorative, l'expression caractérise d'ailleurs une poésie éphémère peu sincère, facile, qui choisit ses sujets dans la vie quotidienne. Mais pour désigner Les Châtiments, l'expression prend le sens large de poésie inspirée par le coup d'État du 2 décembre 1851 et ses conséquences. Les coups d'État ne se comptent plus dans l'histoire des nations, et pourtant un seul a inspiré un chef-d'oeuvre ayant traversé victorieusement l'épreuve du temps, Les Châtiments.
[...] C'est parce que Victor Hugo a su concilier une grande variété de tons à un sentiment fort, l'indignation, qui donne son unité au livre, et les subordonner tous deux à un grand dessein, la défense de la liberté. Hugo est un de ces hommes rares, écrivait Alain, qui remontent toujours à la liberté comme à la source de tout bien. Par sa ferme dénonciation du crime, de la versatilité et du cynisme, ce livre peut offrir quelques utiles sujets de méditation à nos contemporains, car il n'a rien perdu de son actualité. [...]
[...] Qu'est-ce donc, Dieu jaloux, Dieu d'épreuve et d'effroi, Que tu n'es pas content de tant de grands naufrages Et qu'après cette France il te faut cette barque ? (VII, 9). Comme le poème se termine sur ce vers, la question restera sans réponse, mais Victor Hugo la posera encore et encore dans Les Contemplations, dans La Légende des siècles et dans tous ses grands romans. Conclusion Ce n'est pas par hasard que Les Châtiments ont dépassé leur objectif initial pour devenir un chef-d'œuvre sans équivalent dans la littérature du siècle et pour parvenir jusqu'à nous. [...]
[...] La dynamique du recueil En outre, Victor Hugo imprime une dynamique à l'ensemble de son recueil en conduisant le lecteur, depuis les gloires du passé, à travers le cloaque du présent, vers un avenir aux espérances lumineuses, et des ténèbres de l'obscurantisme dans le poème liminaire «Nox à la République universelle dans le poème final, Lux Le vengeur ne se complaît pas dans un rêve de vengeance, il annonce la liberté bientôt recouvrée : Paupières, ouvrez-vous, allumez-vous, prunelles, Terre, émeus le sillon, vie, éveille le bruit, Debout, vous qui dormez ! ( . ) C'est l'ange Liberté, c'est le géant Lumière. Stella IV, 15). [...]
[...] La variété du ton Mais là où Victor Hugo donne toute la mesure de son génie, c'est quand il intègre dans la satire les registres qui en paraissent les plus éloignés, du lyrisme au grotesque. Le lyrisme Le poète satirique ne saurait oublier qu'il est aussi un proscrit et un homme. La plainte de l'exilé résonne douloureusement, car, contrairement à ses espoirs, le régime haï perdure : O France, France aimée et qu'on pleure toujours, Je ne reverrai pas ta terre douce et triste, Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours Ultima verba VII, 17) Le regret du pays natal est d'autant plus vif que le père est aussi séparé de sa chère morte, Léopoldine. [...]
[...] Victor Hugo présente Napoléon sous les traits d'un histrion aussi fréquemment que sous ceux d'un assassin, d'un ogre, d'un monstre sanguinaire. Il sait très bien que le ridicule tue aussi sûrement que l'insulte. Ainsi, dans Éblouissements le jeu des sonorités dans l'énumération des serviteurs de l'Empire Gambade, ô Dombidau le rappel opportun des surnoms (Boustrapa, Persil-Guillotine) et surtout la polka des citrouilles dégonflent de leur importance les marionnettes de l'Empire et ne rendent que plus touchante, par contraste, l'évocation de Jersey qui rit, terre libre, au sein des sombres mers Quant aux images du cloaque, de l'égout, du ruisseau charriant des immondices et des pourceaux qui s'y vautrent, des scènes de ripailles où l'on lave les traces de sang à grand renfort de lampées de vin, elles n'expriment pas seulement l'horreur. [...]
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