« L'esthétique de l'épopée n'est pas celle du drame : le paroxysme ne se trouve pas à la fin, mais au milieu, comme dans cette chanson où la mort de Roland est la flèche mystique d'une cathédrale héroïque. […] L'accumulation incantatoire, les répétitions qui tassent le récit, apparentent l'art épique à la musique […] et à l'architecture, selon une disposition du temps et de l'espace déterminée par une intention symbolique. On veut suggérer l'élan militaire ou mystique, provoquer l'admiration ou l'horreur. »
Commentez et discutez ces affirmations de D. Poirion (Précis de littérature française du Moyen-Âge, PUF, 1983, chap.2 : La Chanson de geste, p.66).
[...] Les formules, d'ailleurs, combinent souvent identités rythmique et syntaxique : vers 1493 Brochet le bien et vers 3541 Brochent ad eit La laisse 1876, troisième des laisses successives sur le trépas de Roland montre dans sa plus parfaite expression l'art du poète. En 22 vers, par une savante gradation des effets, elle exprime une signification précise et un sens si profond, entre ciel et terre. La Chanson de Roland, poème épique, chanson de geste emblématique, abolit les limites entre les arts : elle allie architecture et musique. Et cette musique a un caractère esthétique évident. [...]
[...] Cette invitation à l'aventure qu'est la Chanson de Roland propose une lecture-voyage. C'est une épopée, l'action de composer un épos c'est-à-dire un récit, et précisément un poème narratif, ample (à la fois un et complexe), centré sur un ou quelques héros, des hommes qui agissent, en proie au danger et au risque, en laissant une certaine place au merveilleux. En ce sens, la Chanson de Roland est une épopée, d'un genre particulier : la chanson de geste, le premier grand genre littéraire en langue vulgaire. [...]
[...] La chanson est une œuvre qui séduit le public par son intensité, sa dramatisation, l'art de sa composition. Une chanson est bien sûr un spectacle qui donne à voir : le thème du regard est omniprésent. Chanter le geste, c'est voir et faire voir (sons, mouvements, couleurs). Parfois, même si c'est assez rare, le trouvère recourt à la description détaillée, et à l'hypotypose (description précise et riche qui est censée mettre sous les yeux du lecteur, de l'auditeur, la scène, l'objet décrits ) aux vers 1619/1622 : L'escut vermeill li freint, de col li portet aprof li ad sa bronie desclose el cors li met tute l'enseingne bloie que mort l'abat en une halte roche Il y en a une également aux vers 1341/1342 : Ki lui veïst l'un geter mort sur l'altre li sanc tuz clers gesir par cele place ! [...]
[...] La Chanson de Roland apparaît bien comme une œuvre complexe, aux enjeux aussi nombreux que différents. L'architecture et la musique sont deux caractéristiques fondatrices du Roland, chanson (d'où cette idée de musique, de sonorités ) de geste et épopée (où la notion de héros est centrale : ce Roland dont la mort est la flèche mystique de la cathédrale de la chanson). Espace et temps sont manipulés avec dextérité et talent par l'auteur du Roland et stimulent l'attention du lecteur, aux émotions partagées. [...]
[...] Dans l'épisode du son du cor, est décrit le courage du Comte Roland qui, par un effort démesuré (rendu perceptible par le fait que malgré la distance qui le sépare de Charlemagne, tous l'entendent), sonne l'orifant qui fera revenir le Roi. Loin de nous révolter, ici le poème force l'admiration pour le héros et nous incite à imiter son comportement. Parfois, l'admiration pour le héros peut baisser : au moment de sa mort, Roland n'a pas une pensée pour sa femme Aude, ni pour son ami Olivier. Il ne se soucie que de son salut céleste. Sur un plan purement humain, il fait encore preuve d'égoïsme. [...]
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