Ce n'est pas la perle qui fait le collier, c'est le fil, Gustave Flaubert, Madame Bovary, trois scénarios, romanesque
Dans une lettre à Louise Collet du 31 janvier 1852, Flaubert déclare que « les perles ne font pas le collier ; c'est le fil ». Dans quelle mesure cette métaphore éclaire-t-elle la genèse de Madame Bovary ?
Pendant quatre jours et trente-deux heures, à l'automne 1849, Flaubert lit à Maxime Du Camp et Louis Bouilhet la première Tentation de Saint Antoine, qu'il vient d'achever. Ses amis, après avoir reconnu que l'œuvre n'était pas dénuée de beauté, lui déclarent assez brutalement qu'elle n'en reste pas moins illisible et lui conseillent de jeter son manuscrit au feu.
[...] Mais entre ceux-ci et le travail de rédaction de son roman, Flaubert s'importe d'autres étapes. En effet, on peut résumer ainsi son travail : à partir des scénarios généraux, il me au point un scénario d'ensemble qui concerne la partie qu'il est en train de rédiger. Il élabore ensuite des scénarios partiels à partir de scénario d'ensemble, et, à partir des scénarios partiels, il passe enfin à la rédaction du texte. De cette manière, il envisage des unités narratives de plus en plus petites, tout en ne perdant pas le fil puisqu'il revient régulièrement aux scénarios généraux, c'est-à-dire au projet de départ. [...]
[...] Du fil au collier : la méthode de travail de Flaubert au cours de l'élaboration de Madame Bovary : A. L'importance des trois scénarios généraux : En six semaines, entre août et septembre 1851, il commence par écrire trois scénarios généraux qui embrassent l'ensemble du roman à venir. Ces scénarios sont de plus en plus détaillés et, dès le premier scénario général, l'intrigue ressemble à ce qu'elle sera dans la version définitive, comme le note Claudine Gothot-Mersch : C'est déjà l'histoire d'une jeune femme romanesque qui, déçue par son mari et par le milieu où elle doit vivre, cherche le bonheur dans les bras d'autres hommes, s'endette, et finit, quand tout s'écroule, par se suicider. [...]
[...] Autre signe que Flaubert, à ce stade, écrit pour lui : les plans et scénarios comportant des notes de régie. C. Et ce sont les brouillons qui façonnent les perles du collier : Ce sont donc surtout les 3600 pages de brouillons qui témoignent du travail du style : suppression de nombreuses comparaisons et métaphores, mais aussi de tournures trop familières ou de normandismes des répétitions et des chevilles grammaticales, chasse aux assonances et allitérations involontaires, recherche du mot juste, attention portée aux rythmes et sonorités, travail du point de vue et utilisation du discours indirect libre afin de gagner en impersonnalité. [...]
[...] Ceci explique l'importance que Flaubert accorde, dans ses scénarios, à la distinction des différentes phases par lesquelles passe Emma. Ainsi, il éprouve la nécessité, dans la marge du troisième scénario général, de rendre claire pour lui l'évolution d'Emma, du lendemain de son mariage à son départ : l'ennui/le rêve et le froid/le regret/l'envie/l'état malade Certains passages, qui interviennent trop tôt dans l'histoire du personnage, sont supprimés : c'est sans doute ce qui explique l'extrême condensation de l'épisode qui relatait les réactions d'Emma après sa lecture, à douze ans, de Paul et Virginie. [...]
[...] Le sacrifice des perles qui font perdre de vue le fil : De manière plus générale, Flaubert sacrifiera sans pitié plusieurs passages qui pourraient faire perdre de vue la structure de son roman, qui doit rester le roman d'Emma, même si la description de la vie de province prend peu à peu de plus en plus d'importance dans le texte. Ainsi, en juin 1856, il vient d'envoyer son manuscrit à Du Camp, et il écrit à Louis Bouilhet : J'ai supprimé trois grandes tartines d'Homais, un paysage en entier, les conversations des bourgeois dans le bal, un article d'Homais, etc., etc. [...]
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