En 1942, alors que la France est occupée par l'Allemagne, les Éditions Gallimard décident de publier L'Étranger, roman d'Albert Camus dont le manuscrit fut achevé à la fin du printemps 1940. En gestation depuis des années, ce roman appartient donc au contexte de l'avant-guerre, ce qui l'exempt de toute tentative de réponse par l'auteur au contexte historique de la Seconde Guerre mondiale. En revanche, avec l'essai philosophique Le Mythe de Sisyphe et les deux pièces de théâtre Caligula et Le Malentendu, il prend place dans la trilogie du « cycle de l'Absurde », qui décrit les fondements de la philosophie camusienne. Ce roman permet à son auteur de mettre en lumière la tragédie contemporaine de la condition humaine à travers un récit à la première personne du singulier, celle de Meursault. Cet usage quasi systématique tout au long du roman aide le lecteur à s'identifier au personnage et ainsi à entrer plus facilement dans l'univers de Camus.
Dans la préface de l'édition américaine parue en 1955, il décide de reprendre une phrase qu'il avait déjà utilisée pour résumer son oeuvre : « Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. » Le paradoxe qui y apparaît souligne les deux pôles fondamentaux de l'être humain, d'une part sa dimension privée, intime, et d'autre part sa dimension sociale, publique. L'intervention de la société par un jugement aussi fort que la condamnation à mort sur un acte qui relève de l'ordre de l'intime est problématique. La figure du personnage-narrateur Meursault semble dès lors tiraillée par les notions antinomiques de culpabilité et de victime.
Comment un homme qui vit dans la société peut-il en être également étranger ? Comment la société réagit-elle face à un homme qui est étranger à ses conventions ? Quels sont les rôle et place d'un tel individu dans la société ? (...)
[...] Mon sort se réglait sans qu'on prenne mon avis Il se contente donc d'assister aux audiences comme à un spectacle. Le public qui assiste à sa prestation rit ou reste silencieux, suivant ce qui se passe sur scène. S'il n'est pas victime d'une supposée machination, à l'instar de Joseph K. qui sans avoir rien fait de mal, fut arrêté un matin (incipit du Procès), Meursault, tout en étant meurtrier, est victime de la peur, et donc du sentiment irrationnel d'une société qui cherche à éviter d'être confrontée à l'absurde. Il a le sentiment profond d'être étranger à son procès. [...]
[...] Une fois à l'asile, il ne souhaite pas voir le corps de sa mère et lors de l'enterrement, il ne pleure pas, trop occupé à détailler la scène qui se déroule sous ses yeux, la tenue vestimentaire de l'ordonnateur ou le corbillard. Sous la chaleur, il songe à la promenade agréable qu'il aurait pu faire dans la campagne, s'il n'y avait pas eu maman Lorsque la question sur l'âge de sa mère lui est posée, il se contente de répondre comme ça non qu'il n'ait le courage de répondre, mais parce qu'il n'en a aucune idée et n'éprouve aucun intérêt pour la chose. [...]
[...] Même s'il n'est pas certain que Camus ait lu cet ouvrage, il est évident qu'il connaissait les thèmes de l'écriture de l'auteur praguois chez qui, Joseph K., personnage principal du Procès, va chercher tout au long du roman à se justifier et à se faire acquitter en prouvant son innocence. Le rapprochement avec Meursault réside dans la justification de la vie d'un homme au cœur même de la contingence pure. Certes, les aléas de la vie d'un homme l'amènent à se remettre en question et à s'interroger sur son existence mais, à la différence de Joseph K., Meursault ne prend réellement conscience du fait qu'on le désigne comme coupable que lors du procès, réalisant dès lors que le décès de sa mère y a joué un rôle : pour la première fois, j'ai compris que j'étais coupable Cependant, il refuse de se justifier et ne cherche pas à rationnaliser ce qui lui arrive. [...]
[...] Cependant, le personnage n'est pas étranger au monde, il vit en complète harmonie avec la nature (Pierre-Georges Castex, Albert Camus et l'Étranger) : il ne l'est qu'aux conventions de la société et c'est parce qu'il refuse de mentir qu'il va être condamné. Lorsqu'il tire sur l'Arabe, Meursault ne songe pas réellement qu'il a tué un homme mais plutôt qu'il a porté atteinte à l'harmonie de la nature, qu'il a détruit l'équilibre du jour En réalité, là où la justice croit voir une incohérence et une absurdité dans ses propos réside une morale personnelle qui tient toute entière dans la fidélité à soi-même. [...]
[...] C'est parce que la justice, par ce besoin éperdu de clarté, essaie de rationnaliser un événement totalement irrationnel que naît de cette confrontation le sentiment de l'absurde. Camus en indiquait : L'absurdité est surtout le divorce entre l'homme et le monde Si la société reproche à Meursault son étrangeté, c'est principalement parce qu'elle débouche sur un comportement étranger, et c'est bien cela qui l'effraie. Considérer qu'elle le condamne pour le simple fait de ne pas observer ses codes serait omettre une partie de la sentence. [...]
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