Faire du roman, comme Stendhal, "un miroir qu'on promène le long d'un chemin", pose le problème de la nature de ce miroir : le reflet est-il fidèle, déformant, critique ? Question essentielle que celle des rapports entre roman et réalité, question complexe et incontournable dès lors que l'on réfléchit sur les principes du genre romanesque.
C'est le cas de Michel Butor dans un de ses premiers essais critiques de 1955 (...)
[...] Mais poser ainsi la question c'est reconnaître aussi que le roman a vocation à absorber tous les autres genres en son sein. Lumière portée sur le réel, il est le seul genre à pouvoir intégrer presque à l'infini les variations de cette réalité et à la rendre assimilable pour le lecteur. Sur ce point il n'y a guère de différence entre le lecteur de La Princesse de Clèves et celui de La Modification. A chacun de choisir dans l'immense corpus romanesque selon quel auguste mensonge il tient à aborder la réalité. [...]
[...] C'est là, de la part d'un nouveau romancier qu'on croirait plus iconoclaste, un formidable éloge de la puissance du genre romanesque, y compris et surtout dans sa tradition réaliste. Le roman tire sa puissance de sa fonction didactique. Nous aurons à analyser cette défense du genre en montrant combien les faiblesses du roman servent paradoxalement ce pouvoir de donner du sens. Mais nous nous demanderons néanmoins si Butor ne pèche pas par excès d'optimisme, si le mensonge devenu insupportable aux écrivains et aux lecteurs ne remet pas en question l'exemplarité des événements et des personnages. [...]
[...] Plutôt que de prétendre éclairer le réel, le roman cherche à en dévoiler l'absurdité, il a renoncé à donner du sens : romans de Beckett par exemple, ou ceux de Butor qui montrent l'incohérence du monde tandis que l'œuvre se constitue comme un tout nécessaire et ordonné : La Modification en 1957. Le roman semble donc capable de digérer ses propres remises en question, et fait participer le lecteur à l'écriture, à la fabrication du roman : cf. le vous employé dans ce roman. LE BESOIN UNIVERSEL DE RECITS FICTIFS : toute culture cherche à trouver des références par le biais des fictions. Mythe, épopée, roman : le mythe est un récit fondateur, collectif et explicatif ; il a une fonction civilisatrice. [...]
[...] C'est le cas de Michel Butor dans un de ses premiers essais critiques de 1955 : pour lui, le roman est un fragment de réalité, isolé et maniable ; travail de l'illusion il propose des événements invérifiables en dehors du texte qui les suscite. Mais dans ses limites mêmes, le roman se retrouve plus intéressant que la réalité : l'émergence de ces fictions correspond à un besoin, remplit une fonction. Les personnages imaginaires comblent les vides de la réalité et nous éclairent sur celle-ci Paradoxe d'un mensonge se retournant en vérité, le miroir stendhalien vole d'abord en éclats les fragments pour ensuite devenir un projecteur. [...]
[...] La réalité éclairée par le roman : - Du côté de l'auteur : projection de l'auteur dans ses fictions qui fait passer le vécu du côté de l'exemplaire, comme le narrateur de La Prisonnière, qui analyse avec Albertine les lois de la jalousie. - Du côté du lecteur : le roman peut décrire la puissance d'éveil de la fiction romanesque ; c'est l'analyse que fait le narrateur de A la recherche du temps perdu : la lecture apporte un surplus de vie. Transition : la définition de Butor couvre donc un champ très large et semble difficilement contestable. Mais il convient de revenir à ce qu'il souligne pleinement : le mensonge originel sur lequel repose le genre romanesque. III. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture