À la toute fin du roman de Maupassant Une Vie, l'héroïne, Jeanne, après avoir été déçue par son mari et par son fils, découvre avec "une émotion infinie" sa petite-fille. L'excipit dénoue l'histoire sur une note d'espoir après une succession de désillusions. Mais c'est Rosalie, la servante, qui a le dernier mot : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit". Et le roman, qui racontait puis dénouait l'histoire d' "une vie", celle de Jeanne, s'ouvre sur une conception de la vie en général, présentée sous la forme d'une maxime populaire. Est-ce à dire que le but d'une dernière page de roman n'est pas uniquement de donner un dénouement à l'histoire ? (...)
[...] Le modèle se prête à d'infinies variations et on peut le rencontrer en dehors du genre policier, chez Philippe Claudel, dans La Petite fille de monsieur Linh, par exemple quand, apprenant que la petite fille n'est qu'une poupée, nous sommes amenés à considérer rétrospectivement le personnage principal d'une manière très différente : Il serre la jolie poupée dans ses bras maigres, il la serre comme si sa vie en dépendait, il la serre comme il serrerait une vraie petite fille. 1-3 La disparition du personnage et de l'histoire Mais le roman, dont Maupassant a souligné dans la préface de Pierre et Jean, la grande diversité, tend à inventer de nouvelles formes. L'une d'elles, si l'on continue de regarder du côté de l'intrigue, consiste à faire disparaître les personnages principaux. Comme la tragédie dont il emprunte certains traits, le roman se termine souvent mal. Paul et Virginie {Paul et Virginie, Bernardin de Saint-Pierre) mourront sans avoir pu se retrouver. [...]
[...] De même, la dernière page de Madame Bovary raconte la mort de Charles qui sera suivie du départ de Berthe : Et, croyant qu'il voulait jouer, elle le poussa doucement. Il tomba par terre. Il était mort. De la famille Bovary, il ne reste plus que la fillette et son destin s'annonce misérable puisque la tante qui l'a accueillie l'envoie, pour gagner sa vie, dans une filature de coton La dernière page de L'Œuvre n'est pas très différente : Zola raconte l'enterrement de Claude Lantier, le personnage principal. [...]
[...] Parfois même, comme dans le roman policier, l'œuvre est entièrement tournée vers cette dernière page qui l'achève et lui donne son vrai sens. Mais le sens d'un roman ne saurait se réduire à une intrigue et l'excipit, notamment lorsque le romancier s'engage, exprime une leçon ou plus généralement une certaine conception de la vie. Comme une note légère ou un accord tenu, la dernière page participe à l'équilibre esthétique du roman ; le livre qui se ferme s'ouvre alors pour le lecteur vers une réalité retrouvée, une suite qu'il peut imaginer, un sens qu'il contribue à élaborer. [...]
[...] II La dernière page d'un roman donne son sens au roman Le romancier confie aux dernières lignes de son œuvre la mission de donner tout son sens au roman. Après avoir examiné de plus près la disparition du personnage principal que nous venons d'évoquer, nous verrons que certains romanciers donnent un poids didactique à la dernière page de leur roman et que, plus généralement, l'excipit contribue à exprimer une conception de la vie. II La disparition du personnage donne son sens au roman Plus haut nous avons dit que la disparition du personnage était une façon de dénouer l'intrigue sans que la quête soit satisfaite ; revenons sur les morts respectives de Chai les Bovary et de Claude Lantier qui achèvent Madame Bovary et L'Œuvre ; en mettant un point final à l'histoire, elles donnent son sens au roman. [...]
[...] Citons encore le dernier paragraphe du Procès-verbal de Le Clézio : l'histoire est terminée. Mais attendez. Vous verrez. Parfois, comme dans La Condition humaine, la dernière phrase propose une ouverture en demi- teinte, à l'image de la conclusion du roman ; l'amertume (le dernier adjectif du texte) se mêle à l'expression de la force orgueil et d'un temps qui efface les larmes. Le Voyage au bout de la nuit propose une ouverture assez similaire : le remorqueur appelait vers lui toutes les péniches du fleuve, et la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus Le monde n'est déployé que pour mieux être dissous dans le silence qui suit le point final. [...]
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