Etude linéaire du fragment 22 du chapitre De la Cour dans Les Caractères de La Bruyère.
L'on se couche à la cour et l'on se lève sur l'intérêt; c'est ce que l'on digère le matin et le soir, le jour et la nuit; c'est ce qui fait que l'on pense, que l'on parle, que l'on se tait, que l'on agit ; c'est dans cet esprit qu'on aborde les uns, et qu'on néglige les autres, que l'on monte et que l'on descend ; c'est sur cette règle que l'on mesure ses soins, ses complaisances, son estime, son indifférence, son mépris : quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la modération et la sagesse, un premier mobile d'ambition les emmène avec les plus avares, les plus violents dans leurs désirs et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer immobile où tout marche, où tout se remue, et de ne pas courir où les autres courent ? on croit même être responsable à soi-même de son élévation et de sa fortune; celui qui ne l'a point faite à la cour, est censé ne l'avoir pas dû faire, on n'en appelle pas: cependant s'en éloignera-t-on avant d'en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y demeurer sans grâces et sans récompenses? question si épineuse, si embarrassée, et d'une si pénible décision, qu'un nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le non, et meurent dans le doute.
La remarque 22 du chapitre De la Cour qui est le chapitre central Des caractères et qui occupe une place assez importante dans cette œuvre, a été rajouté en 1691 (6ème édition). Cette longue phrase succède à deux remarques au sujet de l'origine des hommes de Cour et en précède une à propos d'hommes inutiles à faire la fortune des autres.
Ce paragraphe permet à La Bruyère de nous décrire le vide de la vie des courtisans qui ont choisi de vivre pour l'intérêt.
Je propose trois mouvements :
· 1ère partie : De " L'on se couche… " jusqu'à " son indifférence, son mépris " . Rôle de l'intérêt dans la vie des courtisans
· 2ème partie : De " quelques pas… " jusqu'à " où les autres courent ? ". Effet de singerie dans la Cour
· 3ème partie : De " on croit même être responsable… " jusqu'à la fin > Doute qui montre le vide de la vie des courtisans.
[...] Cette perte du temps qui passe dans le doute est d'ailleurs exprimée dans la structure globale de ce paragraphe qui est, elle aussi, cyclique, puisque le verbe " mourir " à la fin peut former, d'un certain côté, une boucle avec le verbe " se coucher " du début. Et l'art de La Bruyère est justement de savoir nous montrer aussi, en un coup d'œil, que la vie des courtisans ambitieux, n'est en fait qu'un cercle vicieux où règnent la fausseté, l'hypocrisie, la singerie et le doute. [...]
[...] L'exagération du nombre puisqu'il est qualifié " infini la mention du temps qui passe avec le verbe " vieillir " alors qu'ils sont toujours dans l'hésitation rendue par " sur le oui et sur le non " montrent à quel point la vie des courtisans est vide et absurde. Enfin, la cassure du rythme par la virgule suivie d'un bref bout de phrase ne fait que démontrer un peu plus cette vanité de la recherche de la fortune par les courtisans et le vide de leur vie. Le " doute nommé cette fois réellement, subsiste toujours alors que les courtisans ont, eux, trouvé la mort. [...]
[...] Introduction La remarque 22 du chapitre De la Cour qui est le chapitre central Des caractères et qui occupe une place assez importante dans cette œuvre, a été rajouté en 1691 (6ème édition). Cette longue phrase succède à deux remarques au sujet de l'origine des hommes de Cour et en précède une à propos d'hommes inutiles à faire la fortune des autres. Ce paragraphe permet à La Bruyère de nous décrire le vide de la vie des courtisans qui ont choisi de vivre pour l'intérêt. [...]
[...] D'ailleurs, la ponctuation change. Pour la première fois, les deux points apparaissent au lieu des points virgules et l'on peut s'attendre à un autre développement, à une autre argumentation. II. L'effet de singerie dans la Cour " quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la modération et la sagesse, un premier mobile d'ambition les emmène avec les plus avares, les plus violents dans leurs désirs et les plus ambitieux Ainsi même ceux qui s'avancent dans la direction de la vertu, s'ils ne font pas totalement abstraction de l'ambition, sont rejetés vers les gens les pires qui sont désignés ici par des superlatifs : " les plus avares " les plus violents dans leur désir " les plus ambitieux Le rythme binaire de " modération et sagesse " qui symbolise un certain équilibre s'oppose ici violemment au rythme ternaire de ces superlatifs qui se succèdent et qui, eux, en revanche, marquent un déséquilibre d'autant plus fort que les termes de l'énumération sont de tailles différentes. [...]
[...] Le rythme s'accroît. Le parallélisme est fondé sur l'hypozeuxe. Il y a toujours une anaphore avec " c'est " et un jeu sur les antithèses : " aborde " néglige " ; " les uns " les autres " ; " l'on monte " l'on descend " c'est sur cette règle que l'on mesure ses soins, ses complaisances, son estime, son indifférence, son mépris " On peut remarquer une gradation dans l'appellation de l'intérêt puisque l'on passe du pronom démonstratif simple à " dans cet esprit " (partie de phrase précédente) pour en faire ici une " règle " qui permet de " mesurer Nous arrivons donc à un paroxysme qui crée une sorte de déséquilibre. [...]
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