En 1670, Racine fait représenter pour la première fois, sa tragédie Bérénice. Résumée en exergue de la préface de cette œuvre, l'action se condense en une phrase : Titus aimait Bérénice, mais il la renvoya de Rome, « malgré lui et malgré elle », dès les premiers jours de son empire. A la fin de l'acte III, Bérénice vient d'apprendre par Antiochus qu'il faut qu'elle se sépare de Titus. L'acte IV, quant à lui, sera marqué par la tirade de Titus à la scène 4, qui précède la scène d'explication entre Titus et Bérénice, à la scène 5. Dans le monologue de la scène 4, Titus, livré à lui-même, pèse le pour et le contre de cette séparation.
Or, il nous semble intéressant de nous demander quelles sont les différentes « instances » de la personnalité de Titus et quels en sont les reflets dans l'écriture du texte. D'autre part, il nous paraît important de nous poser la question des moyens de l'écriture de Racine. Quelle est la technique employée par l'auteur dans ce monologue ? A quel genre peut-on rattacher ce type de texte et en quoi cette analyse nous permet-elle de mieux comprendre l'écriture racinienne ? Enfin, il nous est indispensable de nous interroger sur l'argument de cette tirade, sur cette tragédie du « rien » où toute l'action semble se résumer dans le dilemme intérieur de Titus. En quoi Racine nous offre t-il la trame d'une originalité et peut-être en quoi signe t-il ainsi l'acte de naissance d'une tragédie de l'intériorité ?
Vu l'ensemble de ces questions, nous nous efforcerons d'analyser en un premier mouvement le problème du clivage chez Titus : clivage passé-présent-futur, mais aussi clivage des figures et encore clivage entre l'amour et le devoir. Puis nous tenterons en un second mouvement de définir les marques d'une rhétorique racinienne selon trois axes : de la parole au combat, puis du genre épidictique et enfin de l'écriture des passions. Dans un dernier mouvement, nous essaierons de développer ce que Racine appelle l'invention à partir de rien, tout en prenant toujours appui sur la tirade, nous y déclinerons trois thèmes : l'intention ou l'alibi, fin ou naissance d'une tragédie et permanence de Bérénice.
[...] Bérénice, Racine, IV En 1670, Racine fait représenter pour la première fois, sa tragédie Bérénice. Résumée en exergue de la préface de cette œuvre, l'action se condense en une phrase : Titus aimait Bérénice, mais il la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle dès les premiers jours de son empire. A la fin de l'acte III, Bérénice vient d'apprendre par Antiochus qu'il faut qu'elle se sépare de Titus. L'acte IV, quant à lui, sera marqué par la tirade de Titus à la scène qui précède la scène d'explication entre Titus et Bérénice, à la scène 5. [...]
[...] Racine rejoindrait ainsi le Corneille des stances du Cid. Mais cette lecture ne résiste pas à l'analyse approfondie. Si elle apparaît en ouverture de la tirade, elle a pour substratum une problématique qui la subsume. Cette autre problématique est celle d'un dilemme plus profond, celui d'être capable ou non d'endosser la position d'empereur. C'est-à-dire en fin de compte d'assumer la mort de son père, qui ressurgit ici dans la tirade sous la forme du juge ou de Rome. Mais Titus n'a plus à choisir, il règne. [...]
[...] Or, cette dissociation prend son origine dans la mort du père de Titus. Avant la mort de celui-ci, Titus vivait dans l'univers radieux de l'amour. La mort du père instaure un passé personnel qu'il faut bannir, un présent qu'il faut dépasser et un avenir qu'il faut assumer. Cet avenir marqué, hypothéqué par la tradition : V : Rome jugea ta reine Rome met en balance (V. 1010) l'avenir de Titus. Ainsi la tradition représente pour lui, comme une résurgence de la temporalité dans cet univers atemporel de l'amour. [...]
[...] Il faudra donc argumenter, sinon poser les questions vitales. Or, ces questions forment le premier mouvement de la tirade à 992). Cette instance interrogative qui tutoie Titus, le harcèle (voir ici l'importance du martèlement de la consonne emblème même du nom de Titus) est bien celle d'un juge, mais intérieur, une instance surmoïque et féroce qui va le pousser à être barbare v Face à ce barbare s'élève le doux nom de Titus. Comment ici comprendre ce nom ? Il ne peut faire directement référence à l'empereur. [...]
[...] L'ennemi, car l'amour, cette atemporalité, ne peut vivre de tradition comme la tradition ne peut respecter l'amour (v. 1015/6). Mais Titus, s'il est le garant de la tradition, n'est pas le garant de l'amour. Bérénice assume seule ce rôle. L'équilibre instable du clivage penche plus facilement vers le passé de la tradition que vers le passé de l'amour : v : Qu'ai-je fait pour l'honneur ? J'ai tout fait pour l'amour. Face à ce clivage temporel s'inscrit un clivage psychique, un clivage du moi, dirait la psychanalyse. [...]
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