[...] « Cette organisation plus vaste » dans laquelle le livre s'insère peut aussi évoquer l'ensemble plus restreint des oeuvres d'un même auteur. Ainsi Le Contre Sainte-Beuve est utile pour comprendre La Recherche. De la même façon, il est intéressant de comparer entre elles les comédies de Molière. Le Tartuffe et Dom Juan apparaissent comme des oeuvres plus graves que L'Avare ou Le Malade Imaginaire, écrites à la fin de sa vie, et qui ne dénoncent plus la société mais un ridicule ou un vice particulier. De plus, on ne peut s'empêcher de penser à ces « organisations plus vastes » que sont Les Rougon- Macquart de Zola ou La Comédie Humaine de Balzac. Cette dernière, qui se divise en diverses catégories ( « scène de la vie de province », scène de la vie parisienne », etc.) propose en effet une organisation très complexe où se créent des oppositions et des parallélismes. Par exemple, Rastignac et Rubempré sont deux facettes de la figure de l'ambitieux l'une étant plus négative que l'autre. De plus, la signification d'un livre ne s'arrête pas aux deux bornes que sont l'incipit et la clausule, puisque les mêmes personnages apparaissent dans plusieurs romans, à différents moments de leurs parcours et de leurs évolutions. Cet ensemble plus vaste peut être à l'échelle d'un auteur, d'un mouvement, d'un genre. Le livre se définit parce qu'il est mais surtout par ce qu'il n'est pas. Il convient donc, pour être « un vrai lecteur », d'opérer ce mouvement du particulier au général. C'est à ce seul prix que l'on peut paradoxalement comprendre l'oeuvre en profondeur et saisir son originalité, du moins selon les propos de Pierre Bayard. (...)
[...] Ainsi les poètes de la Pléiade s'opposent à la veine marotique qui fleurit au XVIe siècle. Le baroque s'oppose au classicisme, qui lui-même est contraire au romantisme, lui- même très distinct du réalisme. Ilo semble donc nécessaire, pour comprendre une œuvre littéraire, de la replacer dans son contexte de création. Cette bibliothèque collective aurait donc un classement chronologique plutôt qu'alphabétique. Et il semble important de s'intéresser à l'ordre de succession des œuvres. Et peut-être si L'Odyssée avait été écrite avant L'Iliade, faudrait-il réviser la critique des deux œuvres. [...]
[...] Cette question du rapport direct à l'œuvre d'art apparaît souvent dans La Recherche du Temps perdu de Marcel Proust, que cela soit la musique avec la petite phrase de Vinteuil, ou la peinture avec Vermeer notamment. Cette confrontation à l'œuvre d'art s'oppose au rapport socialisé que l'on peut entretenir avec elle, notamment dans le petit noyau des Verdurins où se produit un pianiste. On retrouve également chez Baudelaire cette idée que la rencontre avec l'œuvre d'art doit se faire indépendamment de la sphère sociale. [...]
[...] Deux œuvres semblables n'existent pas sauf dans les Fictions de Borges. Et même dans cette histoire fantastique, le Quichotte de Ménard, obscur auteur du XXe siècle, n'a pas le même sens que celui de Cervantès. A l'inverse, certaines œuvres entretiennent entre elles des rapports étroits. Et cette bibliothèque collective qui est la nôtre, c'est aussi et peut-être encore plus, celle des écrivains, qui sont d'abord de grands lecteurs. Il y a donc des rapports d'intertextualité entre les œuvres. La Terre de Zola peut se lire comme une réécriture du Roi Lear de Shakespeare (transposé en l'histoire du partage d'un paysan entre ses fils) tout comme Ubu Roi d'Alfred Jarry, d'ailleurs. [...]
[...] Il nous invite donc à opérer sans cesse cette dialectique entre vision globale et précise. L'œuvre doit être comprise dans son fonctionnement interne mais aussi être replacée dans une perspective plus générale en lien avec des éléments qui lui sont externes. Comment l'étude précise d'une œuvre permet-elle une compréhension de l'ensemble des livres ? Pour Bergson, dans l'œuvre classique (c'est-à-dire le chef d'œuvre), le tout correspond aux parties, et les parties au tout.» Cette vision organique de l'œuvre d'art nous permet de comprendre comment on peut articuler particulier et général. [...]
[...] Mais cette attitude de recul va dans les deux sens. Et, de la même façon, l'étude précise d'une œuvre apporte nécessairement une certaine compréhension de l'organisation plus globale dans laquelle elle s'inscrit. Finalement, cette réflexion nous aura permis de réconcilier les différents types de lectures critiques. L'intérêt est peut-être dans cette dialectique proposée par Pierre Bayard, du particulier au général et du général au particulier, qui montre bien que les différentes lectures critiques, bien que d'un fonctionnement opposé, se complètent. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture