Les critiques qui font de Balzac un auteur réaliste mettent en avant la précision de ses descriptions, la justesse des caractères qu'il dépeint, la lucidité du regard qu'il porte sur la société de son époque, en un mot son talent d'observateur. Baudelaire, quant à lui, souligne une autre qualité de l'écrivain : « J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné ».
Un observateur s'arrête aux apparences. L'imagination puissante de Balzac porte son regard au-delà des apparences. Projetant sa propre personnalité dans ses personnages, il leur donne une âme et lit dans cette âme les passions qui meuvent les hommes. C'est ce que Baudelaire entend par « visionnaire ». Au XIXe siècle, ce qualificatif s'applique à celui qui possède la faculté surnaturelle de percevoir ce qui est invisible, ce qui relève de l'essence plutôt que de l'apparence. En nous appuyant sur Eugénie Grandet et sur Ursule Mirouët, nous verrons d'abord ce qui fait de Balzac un observateur, c'est-à-dire un auteur réaliste au sens que la critique donnera ultérieurement à ce terme pour définir une telle esthétique. Le dessein de l'œuvre de Balzac et les procédés littéraires qu'il favorise font de lui un romancier du réel, un témoin attentif de son époque. En nous demandant où s'arrête l'observation et où commence le travail de l'imagination, nous nous tournerons ensuite vers le Balzac visionnaire que Baudelaire admire. Si Balzac est visionnaire, c'est par l'intermédiaire des passions qu'il partage avec ses personnages. La réévaluation de cette facette parfois occultée nous conduira à redéfinir le réalisme d'un auteur trop souvent réduit à l'objectivité de ses peintures et à la précision de son observation.
[...] Quant à l'aspect surnaturel des visions, il participe du réalisme balzacien en reposant sur des sciences qui, si elles ne sont pas enseignées dans les académies, n'en demeurent pas moins valables aux yeux de l'écrivain. D'autres auteurs réalistes s'intéressent au magnétisme et au surnaturel. Il existe un Maupassant fantastique comme il existe un Zola mystique. Balzac se fait visionnaire pour décrire la réalité non pas en surface, mais en profondeur. Par son interprétation de la réalité, il dévoile l'essence des choses, c'est-à-dire la réalité enfouie, si bien que son réalisme ne s'en trouve que renforcé BIBLIOGRAPHIE 1. [...]
[...] À travers la vénalité de Grandet, l'amour d'Eugénie, la foi d'Ursule, il confronte les grandes passions qui meuvent les hommes pour mieux les étudier. Baudelaire remarque que Balzac a l'ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner En effet, le romancier pénètre l'âme de ses personnages pour y chercher les lois invisibles qui règlent les êtres. Les passions qu'il y découvre sont une projection de son propre caractère enflammé. Ainsi, si la vision des passions lui est possible, c'est parce qu'il est lui-même visionnaire passionné. [...]
[...] Telle qu'il la conçoit, la société postrévolutionnaire est morcelée : Il n'y a rien qui soit d'un seul bloc dans ce monde, tout y est mosaïque Dans La Comédie humaine, cette mosaïque est reconstruite pierre par pierre, détail après détail, par l'observation scrupuleuse d'une réalité riche et désordonnée. Contrastant avec l'inventivité romantique, l'observation balzacienne a rapidement fait la gloire de l'écrivain. Cependant, Baudelaire distingue la gloire, construite par le grand public, et le mérite réel d'un écrivain. Les meilleurs lecteurs de Balzac admettent que l'observation ne fait pas tout son talent. Hugo, par exemple, remarque que La Comédie humaine relève non seulement de l'observation mais encore de l'imagination Par son imagination puissante, Balzac dépasse l'observation. [...]
[...] Cette personnalité est empreinte de génie et passionnée. Le père Grandet est un calculateur génial qui profite adroitement des différentes formes de prêt, de l'investissement foncier, de la vente du bois ou du vin, et de la rente. Cette dernière source de revenus est nouvelle et Grandet, c'est-à-dire Balzac, a compris les bénéfices qu'il pouvait en retirer. Minoret, quant à lui, est un héritier savant de la pensée encyclopédiste. Comme médecin, il est à la pointe du progrès en employant un stéthoscope, dont l'invention est toute récente. [...]
[...] et SCHUEREWEGEN F., Balzac ou la tentation de l'impossible, Paris, SEDES p. BALZAC Honoré, Préface d'Une Fille d'Ève, in La Comédie humaine, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade t. II, p Livre qui est l'observation et qui est l'imagination qui prodigue, le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matériel et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. (HUGO Victor, Œuvre complètes, Paris, Club français du livre t. [...]
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