Honoré de Balzac (1799-1850), romancier, critique littéraire, essayiste, journaliste et écrivain français, fît paraître son roman La Cousine Bette sous forme de feuilleton dans le Constitutionnel pour la première fois en 1846. Faisant partie des Scènes de la vie parisienne, dans la section Les Parents pauvres de la Comédie humaine, ensemble d'ouvrages composé de 137 oeuvres, La Cousine Bette raconte la vengeance d'une vieille fille, laide et destructrice, contre sa famille.
Un critique, philosophe, et marxiste américain, Frederic Jameson, affirme, en décrivant leur fonction allégorique, que dans ce roman, "les personnages réalistes, se laissant progressivement posséder, se transform[ent] lentement en pures personnifications" des instincts universels de l'humanité, Eros et Thanatos (in "La Cousine Bette and Allegorical Realism", Papers of the Modern Languages Association). Eros, pulsion de vie liée à l'instinct sexuel et à l'autoconservation, ayant un principe de rassemblement, d'union ; et Thanatos, pulsion de mort interne (autodestruction) ou externe (agression, destruction) dont le but est de briser les rapports et dont le fait de détruire est source de jouissance narcissique. Ces deux forces vitales dirigent selon lui les personnages de Balzac.
Dans quelle mesure les personnages perdent-ils de leur humanité pour ne devenir que des personnifications de ces instincts universels de l'humanité, Eros et Thanatos, et dans quel but Balzac a-t-il, ou non, usé de ce procédé romanesque ?
La manière dont les personnages balzaciens sont décrits et utilisés laisse à penser qu'ils incarnent bien ces forces, bien qu'ils ne soient pas uniquement centrés sur celles-là car on peut être tenté d'analyser d'autres aspects de leurs caractéristiques romanesques, et vise à transmettre une morale découlant d'une vision du monde de l'auteur pleine de pessimisme.
Le caractère réaliste des personnages de La Cousine Bette dont fait mention F. Jameson dans son écrit sur l'ouvrage de Balzac peut s'avérer justifié par plusieurs raisons. Balzac s'est de fait inspiré de modèles réels pour créer des personnages fictifs. Ainsi, tout laisse à croire que l'auteur s'est inspiré d'un artiste paresseux "sans courage et sans énergie" à ses propres dires, du nom de Elschoët, pour inventer le personnage de Wenceslas Steinbock, sculpteur indolent tout aussi paresseux, qui ne s'activera à la tâche que pour plaire à sa maîtresse, Mme Marneffe (...)
[...] La question de la religion est ainsi aussi soulevée. La baronne, vertueuse jusqu'au bout des ongles est malheureuse tout au long du roman, se donne entière à un mari qui la trompe ostensiblement, assiste à sa décadence comme à celle de sa famille qui manque d'argent. Ce malheur, qui s'accentue au fur et à mesure de l'intrigue, atteindra son paroxysme à la fin du roman, quand Adeline finira par périr littéralement de douleur après avoir surpris son mari promettre à sa dernière maîtresse, la fille de cuisine Agathe, de la faire baronne à la mort de sa femme. [...]
[...] L'aspect à la fois comique et pathétique de certaines situations rivalise avec la force de la passion et de la violence. Les personnages partent donc d'un trait réaliste, inspiré de modèles réels, pour aboutir à devenir une idée, cette fois-ci non réaliste. Cette idée pend la forme des instincts primitifs de l'humanité, Eros et Thanatos, la pulsion érotique de vie, et celle de la mort, dont les personnages principaux, Mme Marneffe, Lisbeth Fischer, le baron Hulot, sa femme Adeline, l'ancien parfumeur Crevel en deviennent des sortes de personnifications des incarnations. [...]
[...] Les désillusions de Balzac face au monde se ressentent dans des maximes là aussi très pessimistes : la moitié de la société passe sa vie à observer l'autre le bonheur ne crée que des souvenirs ou encore la vie ne va pas sans de grands oublis En replaçant l'écriture de La Cousine Bette dans le contexte de la vie de l'auteur, on s'aperçoit qu'elle a été placée à la fin, ce qui expliquerait une maturité que l'auteur a acquise faite d'expériences et de constatations. La Cousine Bette, à la fin de sa vie, est la somme de son savoir et de son art, l'épanouissement suprême d'une virtuosité sans innocence dit Jean Hytier dans The Romanic Review. C'est donc une maturité de désillusions. La société qu'il décrit est celle de Monarchie de Juillet” de Louis-Philippe et de Guizot (1787-1874), société féroce où les nouveaux riches, les parvenus, règlent leurs comptes et dépensent plus qu'ils ne possèdent. [...]
[...] La transformation des personnages de La Cousine Bette en de pures personnifications est un fait, néanmoins à nuancer sur certains points. Balzac utilise des procédés rhétoriques qu'il emprunte au mélodrame, en accentuant les effets pathétiques des situations du romain. À cela s'ajoute le grotesque, qui amène à l'œuvre une perspective tragi-comique. La scène initiale où Crevel tente de séduire Adeline Hulot en monnayant de l'argent afin de la tirer d'affaire contre ses faveurs charnelles, en est un exemple type. Ses arguments peu convaincants face à la résistance que la baronne lui oppose contribuent au comique de la scène. [...]
[...] Ils deviennent alors l'incarnation d'une idée, comme les personnifications d'Eros et de Thanatos. À l'évidence, les personnages balzaciens sont trop stéréotypés pour être réalistes. Si le maréchal Hulot, Adeline, et sa fille Hortense sont les avatars même de la Vertu, le baron Hulot, Crevel, Mme Marneffe, et la cousine Bette représentent le Vice, dans sa forme érotique comme meurtrière. Le contraste trop accentué contribue à classer les personnages dans deux types de groupes : les bons et les mauvais. La vision du monde devient alors manichéenne, ce qui correspond trop peu à la réalité. [...]
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