Le narrateur dresse un portrait satirique de Monsieur Molineux. Une satire ambiguë, qui inspire à la fois dégoût, rire et appréhension, à travers une comparaison végétale, des éléments comiques, et la description de la mesquinerie du personnage.
La comparaison végétale fait comprendre au lecteur à quel point l'être décrit est méprisable. Elle est introduite par l'embrayeur "comme", et ses termes servent à montrer la spécificité de l'espèce décrite. Paris est mise sur le même plan que l'Islande, le "petit rentier grotesque" sur le même plan que le "lichen". L'effet est double : d'abord, le narrateur semble montrer au lecteur une espèce très particulière, qu'on ne pourra rencontrer nulle part ailleurs ; ensuite, le lecteur est confronté à une plante qui n'a rien d'agréable : un parasite. La déshumanisation du personnage est directe, il n'appartient plus au genre humain mais à "une nature mixte", un règne "animo-végétal", une forme de vie bâtarde entre l'animal et la plante, entre le parasite végétal et le parasite animal, un cryptogramme, une fleur malsaine qui n'a pas même le mérite d'être belle. Un double rythme ternaire vient renforcer cette déshumanisation végétative : les trois verbes "poussent, fleurissent, ou meurent" montrent l'activité idiote de cet être vivant, qui finalement se contente de mener indifféremment sa vie de plante, qui se contente d'être dans un lieu, désigné par la seconde tournure ternaire qui s'ajoute parallèlement : "sur, dans ou sous les murs plâtreux". Murs de différentes maisons "malsaines" où ces êtres "viennent de préférence". L'utilisation ensuite des parties de la plante pour décrire le personnage, qui se confond avec son vêtement, vient renforcer la comparaison (qui devient métaphore). La casquette tubulée, le pantalon verdâtre, les chaussons en lisière : le vêtement du personnage se confond avec son être de plante. La satire se fait donc en premier lieu par la déshumanisation du personnage, par sa métamorphose en "fleur hybride", dégoûtante et malsaine.
[...] Dans ce produit bizarre vous eussiez reconnu l'actionnaire par excellence, croyant à toutes les nouvelles que la Presse périodique baptise de son encre, et qui a tout dit en disant : Lisez le journal ! Le bourgeois essentiellement ami de l'ordre, et toujours en révolte morale avec le pouvoir auquel néanmoins il obéit toujours, créature faible en masse et féroce en détail, insensible comme un huissier quand il s'agit de son droit, et donnant du mouron frais aux oiseaux ou des arêtes de poisson à son chat, interrompant une quittance de loyer pour seriner un canari, défiant comme un geôlier, mais apportant son argent pour une mauvaise affaire, et tâchant alors de se rattraper par une crasse avarice. [...]
[...] Balzac montre donc dans ce portrait qu'il est un conteur. "Puisse cette histoire être le poème des vicissitudes bourgeoises auxquelles nulle voix n'a jamais songé, tant elles semblent dénuées de grandeur, tandis qu'elles sont au même titre immenses" a déclaré le narrateur dans le début du roman. Balzac veut monter l'immensité de la bassesse de Molineux, et par cela en faire quelqu'un d'immense. Ce portrait apparaît en fait comme le négatif (au sens photographique) d'un portrait de grand homme. Balzac est conteur et poète, puisqu'il fait d'un petit Bourgeois une plante malfaisante, puisqu'il fait d'un portrait l'annonciation d'une intrigue. [...]
[...] Un locataire devenait son ennemi, son inférieur, son sujet, son feudataire ; il croyait avoir droit à ses respects, et regardait comme un homme grossier celui qui passait sans rien dire auprès de lui dans les escaliers. Il écrivait lui-même ses quittances, et les envoyait à midi le jour de l'échéance. Le contribuable en retard recevait un commandement à heure fixe. Puis la saisie, les frais, toute la cavalerie judiciaire allait aussitôt, avec la rapidité de ce que l'exécuteur des hautes oeuvres appelle la mécanique. Molineux n'accordait ni terme, ni délai, son coeur avait un calus à l'endroit du loyer. [...]
[...] Voila qui rendrait bien bancale le prétention au réalisme . Mais si ce portrait paraît si partial, c'est d'une part parce que Molineux est envisagé du point de vue de Birotteau, ce que nous ne savons pas à la lecture du texte, mais que nous nous sommes empressés de découvrir dans le passage qui le précède immédiatement ; d'autre part, ce texte a une valeur d'annonce. Le portrait est ici la prophétisation de la suite de l'œuvre, parce que, intervenant dans le récit du sommet de la prospérité de Birotteau, il y jette un jour un peu terne, une lueur tragique qui ne laisse pas de rendre le lecteur sceptique, et qui lui donne le sentiment épidermique que la plante décrite va un jour révéler sa malfaisance dans un retournement ironique du sort. [...]
[...] ou encore "tout son petit esprit passait à maintenir son état de propriétaire au grand complet de guerre" : l'outrance de cette remarque finale, le jeu de contraste entre "petit" et "grand" donnent au texte une teinte indubitablement comique (on peut retrouver d'ailleurs d'autres effets de contrastes ou de paradoxes dont la tonalité est comique : "ami de l'ordre", "en révolte", "il obéit toujours", "faible en masse et féroce en détail", "qui a tout dit en disant "lisez le journal!", c'est-à-dire en ne disant rien). On peut aussi noter l'effet d'accumulations dans la fin du texte, qui donne un aspect ridicule au personnage. On a donc ici affaire à une véritable caricature. Mais ce ton comique est dérangeant. Le lecteur n'arrive pas à rire vraiment, à cause de l'inquiétude qu'engendre la peinture. On le voit particulièrement dans la phrase : "pour être éprouvée, sa nauséabonde amertume voulait la coction d'un commerce quelconque où ses intérêts se trouvaient mêlés à ceux des hommes". [...]
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