L'autobiographe s'engage, par le pacte de sincérité, à dire la vérité sur sa vie, ses sentiments, sa personnalité. Pourtant, lorsqu'il se fait le lecteur de ses propres textes, il constate parfois avec déception que l'œuvre paraît fausse et comme inventée. L'autobiographie est-elle condamnée à déformer la réalité, du fait des difficultés que rencontre l'écrivain, ou dévoile-t-elle, malgré tout, la vérité sur l'auteur ?
[...] Viendra alors le temps de la documentation. En effet, pour combler les failles de la mémoire, l'auteur recourt le plus souvent à des photos ou à des récits de ses proches, mais il ne peut savoir s'ils sont fiables. Ainsi, Simone de Beauvoir commence les Mémoires d'une jeune fille en feuilletant les pages d'un album de famille, mais au lieu de lui offrir des certitudes sur sa petite enfance il l'amène à douter. «Aussi loin que je me souvienne, j'étais fière d'être l'aînée affirme-t-elle, mais le souvenir contredit le témoignage de ses parents qui se souviennent qu'elle fut jalouse. [...]
[...] Il est vrai que l'on peut déceler des écarts entre le vécu de l'autobiographe et son œuvre, mais dans ces écarts, volontaires ou involontaires, c'est la vérité qui se glisse plus souvent que la fausseté. L'autobiographe doit faire face à de nombreuses difficultés au moment où il écrit son autobiographie, qui l'amènent parfois à altérer la réalité. Toutefois, s'il perçoit ses propres mensonges, s'il en est déçu, c'est peut- être parce que l'œuvre ne lui est pas destinée, mais doit être lue par un lecteur impartial qui apprécie le texte et ses richesses en tant que tels, et fait le chemin de l'œuvre à l'homme et non du vécu à l'écriture. [...]
[...] L'invention dans un texte autobiographique ne va pas forcément de pair avec fausseté. [B. Les mensonges inconscients que le lecteur doit interpréter] Toutefois, l'autobiographe altère parfois inconsciemment la réalité. Cela n'empêche pas le lecteur de lire entre les lignes. Ainsi, dans le préambule des Confessions, Jean-Jacques Rousseau affirme se peindre avec sincérité et modestie J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise pourtant, la première personne envahit le texte tout entier, premier signe d'orgueil, puis il reconnaît avoir été «méprisable et vil» pour ajouter aussitôt qu'il a aussi été bon, généreux, sublimé en un rythme ternaire qui domine, enfin il se présente à Dieu avec la certitude d'être le meilleur des hommes et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : je fus meilleur que cet homme-là Le lecteur voit alors dans ce texte qui célèbre l'honnêteté de l'auteur un chant d'orgueil, qui éclaire la personnalité de l'autobiographe mieux qu'il ne l'aurait fait lui-même. [...]
[...] Enfin, l'écriture autobiographique ne peut pas ne pas prendre en compte la réception de l'œuvre. Contrairement au journal, l'autobiographie, destinée à être publiée, doit plaire. Pour cela, l'auteur n'hésite pas à employer des registres variés, des images, à soigner le rythme des phrases, autant de procédés qui le détournent de la stricte allégeance au réel vécu. Ainsi, les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand présentent une grande variété: lorsqu'il évoque sa sœur, l'auteur recourt au pathétique, brosse un tableau d'ombre et de lumière, destiné à émouvoir le lecteur; quand il fait le portrait de son père, véritable spectre qui hante Combourg, il use du registre fantastique qui attise la peur du lecteur; enfin quand il fait son autoportrait pourchassé par des bonnes hystériques, le registre héroïcomique fait rire le lecteur. [...]
[...] Le souvenir n'est donc pas une science exacte. [B. L'amour-propre] Même si sa mémoire est bonne, même s'il évoque un passé suffisamment récent pour ne pas avoir été encore effacé ou déformé par le temps, l'autobiographe peut être amené à s'écarter de la vérité. En effet quand on parle de soi, on a tendance à embellir, ou tout au moins à cacher ce qui est le moins glorieux. Ce sont les méfaits de l'amour-propre. Tzvetan Todorov le reconnaît bien volontiers ma description de moi-même ne saurait être vraiment critique C'est l'amour-propre qui transforme Jean- Jacques Rousseau en héros épique dans l'épisode resté célèbre du vol des pommes. [...]
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