A la première lecture, le poème de Rimbaud semble étrange et obscur ; il est difficile de trouver un sens car celui-ci ne s'impose pas comme une évidence. Et cela provient probablement d'une volonté de l'auteur. En effet, si ce langage poétique apparait comme un obstacle, c'est dans le but de détourner le lecteur d'une analyse s'attachant au statut référentiel des mots. La poésie ne se lit pas comme un article de journal : on ne peut accéder au sens du texte si on le traverse sans prêter attention aux mots. Ces derniers ne sont pas seulement des signifiés mais des signifiants.
C'est à partir de cette réflexion que l'on peut commencer à analyser « Phrases ». Nous ne sommes au monde que par un rapport de filiation : il y a une continuité entre les êtres, entre les choses, permettant d'exister. Mais l'on n'est dans le réel que par ce lien qui nous attache à des modèles, qu'il s'agisse d'êtres humains qui ne peuvent exister sans avoir été engendrés, ou des mots qui s'inscrivent dans un langage. Or, avec Rimbaud, nous sommes invités à nous demander s'il n'est pas nécessaire de détruire les conventions, les clichés, les structures préétablies dans la pensée ou dans le langage, pour pouvoir accéder au véritable sens de la poésie. Cette déconstruction est d'abord celle que nous venons d'évoquer : elle se remarque dans la forme, avec l'utilisation d'un langage poétique insolite et d'une syntaxe décousue, avec l'usage des tirets et de déterminants ne renvoyant à aucune réalité connue,… Mais le fond du poème en est aussi imprégné : « Phrases » brise le système référentiel pour faire apparaître la création. C'est le sens même du poème. Effectivement, destruction et création sont intimement liées. La seconde ne peut advenir sans la première. Le chaos est célébré puisque nécessaire et bénéfique à la poésie. Celle-ci, et l'art en général, côtoient la mort pour parvenir à leur essence.
Qu'advient-il une fois le système référentiel connu déconstruit ? Les conséquences sont multiples : en premier lieu, la rencontre avec le bizarre, l'inconnu, permet l'expérience de l'altérité. La poésie concilie les extrêmes, le familier et le curieux, le proche et le lointain,… Or, ce qui est le plus étrange à l'homme, c'est justement l'homme. La poésie est donc le lieu où l'humain trouve l'autre, et par conséquent se trouve lui-même. Ensuite - et c'est en lien direct avec ce qui vient d'être énoncé- la poésie est relation : elle concilie les extrêmes et les éléments de façon inattendue. Les relations faites par le langage ayant été détruites, ces associations entre les objets et entre les mots peuvent être surprenantes, ce qui se remarque aisément dans le poème. Le poète tisse des liens qui ne « tiennent qu'à un fil » : tel un funambule, il marche sur ceux-ci, alors que tout n'est que nouveauté, instabilité, déséquilibre. Le danger est toujours présent dans la création artistique. Mais ce n'est qu'au prix du sacrifice des conventions, qu'avec la dangereuse compagnie de la mort, que le poète peut enfin reconnaître le véritable rapport de filiation entre ses œuvres et lui-même. Ses créations sont « ses filles », car elles sont nées de l'anéantissement de l'usage, du brouillage des correspondances de Baudelaire, poète que Rimbaud admirait mais à qui il reprochait un manque d'audace au niveau de la forme…
C'est sous l'angle de cette problématique que nous envisagerons notre étude du texte, procédant par une analyse paragraphe par paragraphe, après avoir expliqué le titre du poème. Pour faciliter la lecture, chaque passage sera rappelé en début d'explication.
[...] Baudelaire, que Rimbaud érigeait au rang de roi des poètes 2 un vrai Dieu 2 lui a ouvert la voie : il a su inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes 2 C'est en réponse à cette ouverture poétique que Rimbaud va chercher à trouver une langue [ ] (qui) sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la Pensée et tirant.2 parole dont la référence au poème Correspondances 3 est on ne peut plus évidente. Le sens de Phrases est dans le prolongement de cet éclairage sur l'écriture. La Poésie est source d'infini, où toutes les idées peuvent éclore et les mots s'associer. Bibliographie - Les Illuminations, Rimbaud. - Les Fleurs du mal, Baudelaire. [...]
[...] Une sorcière est une personne qui a passé un pacte avec le diable, c'est-à-dire l'esprit du mal. On peut tout à fait le rattacher à la Mort que nous avons déjà rencontrée et qui a tout emporté sur son passage. Quant aux violettes frondaisons une étude symbolique s'impose. La couleur violette est issue du mélange du bleu - couleur céleste - et du rouge - couleur infernale. C'est donc une couleur de la tempérance, mélange entre lucidité et l'action réfléchie, entre l'esprit et les sens. [...]
[...] Cette répétition s'apparente à une mécanique, montrant presque l'inconsistance du dire de ces mots, comme si les mots en avaient été vidés de leur sens. Dans cette perspective, les figures de style, de rhétorique, et autres procédés artistiques émaillant les œuvres littéraires se révèlent être des freins à l'expression, à la compréhension. L'art doit donc se détacher des structures classiques pour parvenir à son essence. Mais cette analyse formelle est également appuyée par une réflexion sur le fond. Les adjectifs forts gais et méchants incarnent des types, des valeurs entières et sans nuance. Or, c'est ce que rejette Rimbaud. [...]
[...] On assiste donc à une sorte de décollement, du bas vers le haut, du concret au spirituel, du physique au métaphysique. Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc? Quelles violettes frondaisons vont descendre ? Rimbaud se fait ici le peintre d'un tableau, dont il poursuivra la réalisation jusqu'à la fin du poème. Considérons le tableau en deux espaces : l'un le haut, l'autre le bas. Ce paragraphe décrit alors la partie haute du tableau. Il s'agit d'un ciel blanchi par la fumée. [...]
[...] - La lettre du Voyant (ou lettre à Demeny du 15 mai 1871), Arthur Rimbaud. Pour la première page d'introduction générale : -Encyclopédie Lagarde et Michard -Wikipédia - http://rimbaudexplique.free.fr La lettre du Voyant (ou lettre à Demeny du 15 mai 1871), Arthur Rimbaud La lettre du Voyant (ou lettre à Demeny du 15 mai 1871), Arthur Rimbaud Les Fleurs du mal, Baudelaire. [...]
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