La folie est une notion vaste et largement évoquée dans divers domaines tels que la littérature, la médecine ou la philosophie. Considérée par certains comme une maladie effrayante, elle peut être la source de l'expression d'une génialité artistique. La folie que l'on diagnostique à Antonin Artaud n'est alors plus seulement perçue comme un état dépressif, morose, instable, violent et pesant ; elle est au contraire l'énergie du génie profane dans les puissances imaginatives, par la supériorité d'une sensibilité particulière aux êtres et aux choses et la recréation de soi-même, d'un corps non souffrant, dans l'art. Nous allons voir que l'état fragile et cependant clairvoyant d'Artaud sur sa propre maladie et ses souffrances, les névroses de sa chair n'en font pas un aphasique incapable, au contraire il est à l'origine de ses réflexions sur lui-même, de ses écrits et poèmes.
Cette notion où philosophie et médecine se rencontrent engage la relation âme/corps, le rapport à autrui, à la société et a été traitée par grand nombre d'auteurs (médecins, philosophes, poètes, psychanalystes). Nous essaierons de déterminer le lien entre création et affectivité, c'est-à-dire de préciser quelle peut-être l'influence des sens, du corps sur notre puissance de réflexion et d'imagination, et réciproquement, et de voir si la folie n'est pas la preuve qu'il est possible de dépasser l'opposition simple entre sensibilité et entendement, âme et corps. Le corps et ses affections, émotions ressenties auraient donc une importance capitale dans l'évolution et la constitution de notre esprit. On oppose généralement en philosophie les émotions, passions instables et l'élévation de l'esprit. C'est pourquoi nous allons essayer de rendre compte du paradoxe soulevé par l'association de la folie qui produit une altération du fonctionnement dit « normal », et la puissance de l'esprit de l'homme de génie. En effet, comment d'une telle inconstance pathologique peut naître un discours éclairé sur l'être ?
Nous commencerons par donner un point de vue d'ensemble des descriptions du corps souffrant et perturbations ressenties par Artaud. Nous évoquerons ensuite les discours et traitements des institutions psychiatriques sur son cas afin d'établir en dernière partie le rapport ou l'opposition entre les regards psychiatrique et littéraire, le langage poétique étant peut-être plus à même de soulager le malade et libérer ce corps, source et principe des œuvres d'Artaud, de son aliénation première
[...] Artaud veut retourner à un primitivisme de la sensation, il s'agit donc pour le théâtre de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l'expression en vue de l'arracher à son piétinement psychologique et humain Il y a chez lui comme chez Foucault une dénonciation de la psychiatrie, et des normes sociales et culturelles dans Van Gogh, Le Suicidé de la société où il accuse la société et sa production de psychiatres de vouloir étouffer les hommes de lucidités supérieures qui s'attaquent au conformisme et aux institutions. La psychiatrie, instance de normalisation, placerait le malade sous le joug d'un jugement perpétuel qui le culpabiliserait et aurait un pouvoir normalisateur. Ce serait donc chaque culture, à une époque donnée, qui constituerait ses malades selon les normes et règles qu'elle souhaite établir dans la société. Mais ainsi, on fait pénétrer les exigences collectives de vie au cœur de l'espace privé et individuel. [...]
[...] Le temps, la matière, le moi ne font plus qu'un et ne souffrent d'aucune dissociation. Le corps a été délocalisé, il devient une totalité indivisible, rien n'existe à l'extérieur de lui, il est ce squelette infranchissable, fermé et opaque aux infections extérieures. Ce corps ne se repose jamais, il est en marche vers l'infini, d'abord enraciné dans les limbes du non-être il ressurgit inné, incréé par la filiation, à l'articulation du sauvage et du primitif, sans aucune intervention d'instances externes, collectives, sociales sur sa formation. [...]
[...] On peut en effet retrouver certains symptômes attribués aux schizophrènes : dissociation de la vie psychique qui fait perdre l'unité et les capacités associatives, cessation de communication avec autrui qui plonge le sujet dans une pensée autistique et un chaos imaginaire, idées délirantes et impulsives, hypersensibilité, repliement sur soi, perte d'élan vital, dépossession de soi, troubles de la sexualité, du cours de la pensée, de l'expression, hallucinations, sentiment d'étrangeté, de possession maléfique et érotique, contradictions passionnelles, etc. Médicalement la schizophrénie semble être définie par l'association de trois syndromes : dissociatif, délirant et autistique. Le premier se manifeste par une rupture de contact, des néologismes, un mutisme et une ambivalence ; la schizophasie étant un néo langage incompréhensible. [...]
[...] De nombreux auteurs dont certains médecins ont écrit sur ces manifestations mais il semble qu'Artaud soit le plus qualifié pour témoigner et décrire cliniquement ses états psychophysiques et ce qu'il nomme le dérèglement du système organique de l'esprit à cet égard il fait preuve d'une lucidité et clarté d'esprit exceptionnelles. C'est pourquoi Jacques Rivière préférera publier les lettres dans lesquelles Artaud décrit sa maladie plutôt que ses poèmes. Ses souffrances physiques seront alors à l'origine de son œuvre foisonnante dans laquelle il s'efforcera de les décrire, puis de les détruire et enfin de les dépasser dans une nouvelle reconstruction du corps. C'est tout son corps qui sera l'origine, le sujet, et la fin de ses écrits, car il ne peut sortir de ce corps étant ce corps entier. [...]
[...] La dimension délirante met en danger la santé mentale d'Artaud et induit en lui une perturbation du rapport au réel, une confusion du verbe et de la vie. Autrement dit, les perturbations psychophysiques d'Artaud font de lui un être inadapté aux éléments du réel. Les choses anodines pour tout un chacun peuvent lui poser problème, et il ne distingue pas son œuvre de sa vie, il se fait œuvre, sujet de ses cris corporels et verbaux. Il aurait donc, par intuition, une attention profonde aux choses, et seraient plus soucieux et sensibles aux détails que des êtres de meilleure santé mentale pour lesquels ces choses seraient insignifiantes, iraient de soi, sans poser d'interrogation. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture