Tzvetan Todorov, commentant une contradiction mise en lumière par Schelling dans le dernier chapitre du Système de l'idéalisme transcendental (1800), écrit : « Si la règle de l'art est la beauté, l'art est une incarnation de la beauté supérieur à la nature, laquelle est gouvernée (aussi) par des principes autres que la beauté. Par conséquent, loin de devoir imiter la nature, l'art nous donne la mesure du jugement que nous portons sur la beauté naturelle : la hiérarchie de l'art et de la nature est inversée. », in Théories du symbole.
Ces réflexions vous paraissent-elles pertinentes quant au traitement de la question conjointe de l'art et de la nature par les différents romantismes, en particulier chez Novalis (L'hymne à la nuit), Leopardi (Canti), Keats (Poems) et Senancour (Oberman) ?
« La poésie est le réel absolu », écrit Novalis, qui témoigne par là de l'avènement de la poésie comme activité essentielle, conception s'opposant à la tradition ornementale des siècles précédents et en particulier du XVIIIe siècle. Mais cette affirmation ne va pas sans une extension du champ de ce qui est poétique, et l'on doit la mettre en rapport avec cette phrase non moins mystérieuse : « une fleur est un être essentiellement poétique. » Novalis en cela donne à la poésie (et il faut entendre chez lui poésie au sens d'art en général) une valeur nouvelle, une position différente par rapport à la nature.
C'est l'une des caractéristiques majeures du romantisme, en effet, que d'avoir renouvelé la question séculaire de la mimésis, à laquelle la réponse traditionnelle restait jusqu'alors la doctrine d'Aristote. La « crise romantique » marque ainsi selon Tzvetan Todorov « la fin de l'imitation » au sens traditionnel du terme, l'étalon auquel doit se référer l'art n'est plus la nature mais la beauté qui parfois y apparaît : « Si la règle de l'art est la beauté, l'art est une incarnation de la beauté supérieure à la nature, laquelle est gouvernée (aussi) par des principes autres que la beauté. » Si bien que l'artiste ne doit plus imiter la nature, mais prendre la beauté qu'il y voit en modèle ; avec le romantisme, la beauté s'émancipe de la nature: « Par conséquent, loin de devoir imiter la nature, l'art nous donne la mesure du jugement que nous portons sur la beauté naturelle : la hiérarchie de l'art et de la nature est inversée. » (Théories du symbole) Le romantisme opèrerait donc un retournement dans les jugements sur l'art et la nature, on ne jugerait plus l'art selon la nature, mais bien l'inverse. Et la modification de cette hiérarchie n'est pas sans rapport avec le retournement concernant le sujet romantique, créé par la nature, lui appartenant, et créant l'art, qui voit sa place dans la nature renouvelée. Il nous faut donc vérifier la validité de cette inversion hiérarchique dans les œuvres de notre corpus : dans la poésie de Keats, chez Novalis (Les disciples à Saïs, Hymnes à la nuit, Chants religieux), Senancour (Oberman), et dans l'œuvre marginale de Leopardi (Canti). Il s'agira de comprendre en quoi la modification de la hiérarchie de l'art et de la nature est liée à une modification réciproque de ce que sont, d'une part la nature et d'autre part l'artiste en tant que sujet romantique créateur.
[...] Le rythme pulmonaire de Sommeil et poésie calmes, accélérations, font sa vie, son unité, son analogie avec la Nature, l'ordre du monde. Les romantiques récusent à ce titre le rationalisme des Lumières, l'esprit critique, qui divise, sépare, comme le dénoncent les mille Natures diverses divisées par l'homme critique : il ne peut rien laisser en place ; tyranniquement, il nous sépare et, dans les dissonances criardes, il cherche à saisir. (Les disciples à Saïs, II, p. 62) Il lui faut donc retrouver le sentiment univoque, parfait : Alors, en lui, se lèveraient les étoiles, alors il apprendrait à avoir, plus clairement et plus diversement, le sentiment de l'Univers tout entier ; tandis que son œil, cruellement lui montre des limites et des plans. [...]
[...] (Hymnes à la nuit, La nuit est pour Novalis ce qui crée la nature et qui nous est caché, il nous faut la trouver par l'imagination. L'autre, le lieu du mystère, est accessible par la poésie, qui imagine et se dégage des mailles du prétendument réel, par des chemins neufs : le sommeil, le rêve. Leopardi voit bien autre chose que la nature telle qu'elle est accessible à notre entendement, mais refuse l'idée de pouvoir rejoindre ce lieu : Mais par l'Être, En ses œuvres, se poursuit, Autre chose que notre mal ou notre bien Sur le bas-relief d'un tombeau antique v. [...]
[...] Ce que Novalis décrit comme précédant l'avènement du Christ, il faut le lire aussi comme ce qui a précédé la renaissance du christianisme dans son romantisme : La Nature était là, solitaire et sans vie. Par des chaînes de fer, le nombre aride et la mesure austère la tenaient entravée. En ruine, poussière et vent au creux des mots obscurs, avait déchu l'immense épanouissement de la vie. Elles s'étaient enfuies, la Foi magique et l'Imagination, sa céleste compagne, reine des métamorphoses et des fraternisations. Hostile, un vent glacé du nord souffla sur les plaines transies ; et glacée, la patrie merveilleuse s'échappa dans l'éther. [...]
[...] Il s'agira de comprendre en quoi la modification de la hiérarchie de l'art et de la nature est liée à une modification réciproque de ce que sont, d'une part la nature et d'autre part l'artiste en tant que sujet romantique créateur. C'est pourquoi nous questionnerons d'abord la présence renouvelée de l'individu dans les apparitions de la nature dans les œuvres, puis nous étudierons dans quelle mesure l'art acquiert sa supériorité, pour enfin questionner la visée romantique d'une fusion entre art et nature, qui rendrait artificielle la notion même de hiérarchie. [...]
[...] Mais, chez Keats, le chant du rossignol, comme le sien, est beau du fait même qu'il est en dehors de la nature, qu'il résonne dans l'éternel : Ce chant qui souvent a charmé De magiques croisées ouvertes sur l'écume De mers fatales, dans le pays perdu des fées. Ode à un rossignol VII) Nos auteurs décrivent donc une possible analogie entre le sujet romantique et un élément de la nature, et renouvellent ce thème par une sensibilité propre. En effet, le renouvellement du thème est celui de la sensibilité, car la nature dans le romantisme, souvent est la nature en tant qu'elle est ressentie. La nature apparaît en effet dans la littérature romantique majoritairement sous le filtre du sentiment. [...]
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