L'autobiographie est un des genres majeurs du XXème et XXIème siècle. Beaucoup d'auteurs ont décidé de laisser ce témoignage pour assurer l'immortalité de leur âme. Ce genre, polémique de nos jours car considéré comme voyeuriste, a donné lieu à des chefs-d'oeuvre plus ou moins originaux. C'est le cas du Roman inachevé d'Aragon qui, au XXème siècle, décide, après plusieurs tentatives, de se lancer dans la rédaction d'une oeuvre basée sur le souvenir. Néanmoins, certains qualifient cette oeuvre comme étant aussi, et surtout, une réflexion sur le langage et sur l'écriture en général. En effet, Aragon, comme Apollinaire, est un auteur qui utilise à la perfection la plume de l'originalité et de l'atypisme. C'est le cas de Denis Prévost-Seize qui « a l'issue d'une étude sur l'écriture du souvenir dans Le Roman inachevé (...) conclut par cette phrase : « poème du souvenir dont, en vérité, le sujet est précisément le langage. » ». Denis Prévost-Seize fait donc partie de ces auteurs critiques qui considèrent Le Roman inachevé comme une oeuvre portant plus sur le langage, sur la capacité et les difficultés à écrire, que sur l'autobiographie et l'évocation du passé. Le langage représente alors à la fois la faculté d'écrire, le moyen d'exprimer ses pensées et de communiquer, et le moyen d'expression qui se réfère à la manifestation artistique. Mais est-ce réellement le cas ? La poésie d'Aragon dans Le Roman inachevé est-elle plus l'expression du souvenir ou l'illustration d'une réflexion, voire d'une révolution plus ou moins délicate du langage ?
C'est ce que nous allons analyser en expliquant la portée du langage poétique dans Le Roman inachevé, puis nous mettrons en exergue la supériorité de l'autobiographie et du souvenir ; et enfin nous illustrerons le fait que Le Roman inachevé associe ces deux qualités, et que l'une ne domine pas l'autre forcément car le langage est l'élément déclencheur de l'évocation du souvenir chez Aragon.
Comme l'affirme Denis Prévot-Seize, Le Roman inachevé a pour sujet principal l'écriture et le langage poétique.
Le Roman inachevé est une oeuvre atypique et novatrice en ce qui concerne la forme et l'écriture. En effet, malgré le fait que le peuple du XXème siècle soit toujours attaché à la versification classique, Aragon reprend les rythmes, les vers traditionnels mais, pour ne pas figer sa langue, il décide d'innover. Il décide donc de renouveler les règles et les formes traditionnelles. De ce fait, il garde la rime classique, mais il multiplie les alliances et les échos ; la strophe traditionnelle est recomposée, enrichie ; le vers évolue jusqu'à mettre en avant la tension entre le vers et la prose. Aragon, dans Le Roman inachevé, propose une palette de formes, de mètres, de vers... (...)
[...] 176) où Aragon se pose des questions sur sa vie, et surtout sur son passé douloureux avec Nancy Cunard et son enfance. L'utilisation des questions oratoires dans la seconde strophe est représentative du lyrisme d'Aragon car il demande s'il n'a pas le droit de se venger et d'être à son tour heureux et épanoui : Ne puis-je donner de la douleur Tourmenter / N'ai-je pas à mon tour le droit d'être féroce / N'ai-je pas à mon tour droit à la cruauté / Ah faire un mal pareil aux brisures de l'os / Ne puis-je avoir sur autrui ce pouvoir atroce / N'ai-je pas assez souffert assez sangloté (p. [...]
[...] Au-delà de l'expression langagière poétique, Aragon développe l'idée du souvenir, et ce poème, tout comme Le Roman inachevé en général, devient un poème du souvenir qui explore la dimension autobiographique. Avec les poèmes dédiés à Elsa Triolet, il expose l'idée de renaissance qui est développée grâce à l'amour d'Elsa : elle est la femme salvatrice qui lui redonne la vie, qui lui ren[d] la soif et la faim / De vivre encore et de connaître / [Leur] histoire jusqu'à la fin Mon Dieu jusqu'au dernier moment, p. [...]
[...] En outre, le langage comme sujet du Roman inachevé met aussi en exergue les difficultés d'écriture que rencontre Aragon dans la rédaction de son long poème. Tout d'abord, la typographie illustre bien cette idée car, à plusieurs reprises, la page est couverte de points de suspension qui mettent en avant la difficulté à cerner les mots, à exprimer ses idées car la honte, l'angoisse, ou la tristesse sont trop présentes. Ces poèmes sont surtout présents dans la section Les Pages lacérées où Aragon évoque la guerre d'Espagne, les deux Guerres Mondiales avec les camps et l'occupation. [...]
[...] Au contraire, ils sont liés et le langage permet même le retour au souvenir et ce de manière plus fluide, plus rapide et plus précise par le développement d'une thérapie individuelle et collective en lien avec les lecteurs. [...]
[...] De cette manière, le poète innove et travaille sur le langage pour en élaborer le sujet clé de son œuvre. Le jeu d'écriture est pour Aragon un plaisir inouï où il parvient à faire chanter ses vers en réalisant des refrains limpides. Lors d'un entretien avec Dominique Arban, Aragon explique que le génie du poète est de créer une forme moderne de métrique, qui fut en apparence, pour les gens, la métrique du vers régulier, sans l'être à proprement parler, avec les moyens d'expression qui n'étaient pas ceux de la métrique habituelle De cette manière, Aragon se positionne parmi ces poètes qui réussissent à plaire aux lecteurs tout en innovant. [...]
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