Au théâtre, si le texte est le corps évident de la représentation, sa mise en scène en est l'âme, déterminante quant à la réception qu'en fera le spectateur. Jean Genet, dramaturge du 20e siècle au parcours personnel et littéraire controversé de par ces actes de jeunesse et ces prises de position envers le nazisme, l'homosexualité et le théâtre lui-même, a d'ailleurs pleinement conscience de la portée de la mise en scène lorsqu'il écrit à Roger Blin, le metteur en scène qui assure la représentation des Paravents, pièce sur la guerre d'Algérie.
En effet, il lui explique que la représentation de sa pièce doit « illuminer […] le monde des morts […] et celui des vivants. » Il ajoute même que « personne ne doit être écarté ou privé de la fête : il faut qu'elle soit si belle que les morts aussi la devinent, et qu'ils en rougissent […]. Tout doit être réuni afin de crever ce qui nous sépare des morts. Tout faire pour que nous ayons le sentiment d'avoir travaillé pour eux et d'avoir réussi. » Cependant, bien que construites sur un vocabulaire simple et facilement compréhensible, ces indications sont complexes et leur signification plutôt obscure : qui sont ces morts que Genet « veu(t) faire rougir » et pour lesquels il veut travailler, c'est-à-dire auxquels il veut rendre hommage ou par rapport auxquels il cherche à se poser dans la continuité ? Pourquoi ces morts semblent-ils plus importants que les vivants aux yeux du dramaturge ? Comment le metteur en scène doit-il s'y prendre pour « illuminer » le public et faire de la pièce « une fête » ? Pour synthétiser, les propos de Jean Genet génèrent une réflexion sur les moyens que possèdent le dramaturge et le metteur en scène pour toucher le spectateur et ainsi lui faire vivre un moment inoubliable mais aussi sur la participation des morts dans ce processus.
[...] Ceci est d'ailleurs expliqué dans la préface de Phèdre de Racine : Aristote a bien voulu donner les règles du poème dramatique, et Socrate [ ] ne dédaignait pas de mettre la main aux tragédies d'Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions. Ainsi, laisser son empreinte personnelle dans l'histoire du théâtre, être dans le sillage des dramaturges qui transmettent des messages aux vivants alors qu'ils sont morts, crevant ainsi ce qui sépare les morts des vivants, semble constituer le véritable défi de Genet. [...]
[...] Ces mythes permettent d'exprimer les grandes angoisses humaines après la Première Guerre mondiale et à l'aube des horreurs de la seconde. En outre, ces mythes sont étroitement liés à la notion de fatalité, le jeu en est fait à l'avance : Antigone doit mourir, Œdipe doit tuer son père et épouser sa mère, et malgré le titre de la pièce de Jean Giraudoux, la Guerre de Troie aura bel et bien lieu. Ainsi, si le dramaturge utilise ce qu'est devenu au fil des siècles un élément constitutif de la culture, c'est parce qu'il sait que le public sera sensible à un sujet qu'il croit connaître et donc déjà posséder Le dramaturge a donc toute latitude et liberté pour laisser se déployer son imagination et sa mise en scène. [...]
[...] Dans le même esprit, l'univers du Malade Imaginaire se présente au public comme une comédie de la vie quotidienne tout en créant un amusement certain grâce à l'usage des procédés propres à la farce : ruses, déguisements, coups de bâtons, jeux de langage D'ailleurs, le déguisement et le masque ont justement traversé les âges et sont restés synonymes de fête. Néanmoins, même si le terme fête est forcément lié à l'amusement, il n'en reste pas moins très proche de la notion d'évènement et le déguisement représente un des éléments qui crée l'évènement auprès du public dans la représentation théâtrale. [...]
[...] Ses fêtes deviennent donc cyniques, diaboliques, accusatrices des rites fallacieux de ce monde : la colonisation, la corruption, la perversion, le racisme La fête, en plus de divertir, devient alors réquisitoire, aspect qu'elle possédait déjà mais de façon moins crue et moins cruelle : L'auteur [ ] se compromet avec le public pour l'amuser, ou pour l'instruire [ Le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe. (Beaumarchais, préface du Mariage de Figaro) car ce que se permet Genet était impensable auparavant à cause de la censure plus particulièrement. [...]
[...] Il n'est pas mort sur scène comme le veut la légende mais dans les heures qui suivirent, après avoir craché du sang en pleine représentation. Ainsi, si nous rapprochons la volonté de Genet d'écrire pour les morts et l'homme de théâtre qui a réussi à élever la comédie au même rang que la tragédie, genre noble par excellence, nous nous devons de souligner la notion d'immortalité qui en découle. En effet, Molière est mort mais n'est-il pas vivant presque tous les soirs à la Comédie Française lors des représentations de ses pièces ? [...]
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