Qu'il soit romancier, dramaturge ou poète, quel écrivain n'a jamais eu recours au mythe antique ? Réfléchissant dans Le Vent Paraclet, son autobiographie intellectuelle, à l'intégration du mythe dans son oeuvre romanesque, Michel Tournier affirme que « les mythes comme tout ce qui vit - ont besoin d'être irrigués et renouvelés sous peine de mort ». Par l'image de l'irrigation, l'apport de l'eau nécessaire à la croissance de la végétation, il signifie que pour empêcher les mythes de dépérir, il est nécessaire que, siècle après siècle, des écrivains y puisent leur inspiration. Tel est le cas de Giraudoux qui, après Plaute et Molière, a donné avec Amphitryon 38 la trente-huitième version dramatique du mythe fondateur de la légende d'Hercule.
[...] Le théâtre, et surtout le théâtre qui s'appuie sur le mythe, a pour fonction de soulever des problèmes, mais non de les résoudre. Conclusion Irriguer» et renouveler le mythe fondateur du cycle d'Héraklès, l'un des demi-dieux les plus populaires de la Grèce antique, était une gageure pour un dramaturge du XXe siècle. Giraudoux a parfaitement réussi à la tenir : tout en respectant le nœud de l'histoire, l'union d'une mortelle et du roi des dieux, il a centré la pièce sur les rapports entre les hommes et les dieux et confié le premier rôle à Alcmène, introduit de nouveaux épisodes, donné libre cours à sa fantaisie et chargé le mythe d'un sens ambigu. [...]
[...] Quand Jupiter prend la forme d'Amphitryon, Mercure lui reproche de flotter dans son sac humain puis le compare à un ver luisant humain 5). Alcmène, de son côté, ne manque pas une occasion de prendre Jupiter de haut : Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un légume immortel 2). L'humour enfin donne du piquant à la périphrase (la lune devient une boule vide ou à l'énumération, quand Giraudoux brise son essor par une chute cocasse : les diverses manières de se protéger des insectes, des orages, du hoquet ; il permet d'anticiper sur l'avenir : les poètes de la postérité se chargeront de votre conversation de cette nuit ; il aide à faire passer la satire politique : cette grande entreprise démocratique la seule réussie, d'ailleurs qui s'appelle la nuit L'anachronisme Les nombreux anachronismes dont Giraudoux parsème sa pièce ont deux fonctions. [...]
[...] L'ambiguïté du sens S'il est vrai que le dénouement rend Alcmène et Amphitryon à leur bonheur conjugal, il laisse en suspens bien des questions graves Comme le note P. Brunei, il ne faut pas croire pour autant que tout malentendu soit dissipé à la fin de la pièce. Ni le malentendu entre l'homme et les dieux, ni le malentendu entre l'homme et le Cosmos, ni le malentendu entre l'homme et la femme Les questions qu'Alcmène pose à Jupiter en témoignent : Et cet agrément, cette confiance que ressent pour vous mon corps, d'où vient-il ? [...]
[...] Mais Giraudoux enrichit le mythe par l'ambiguïté du dénouement, du genre dramatique et du sens. L'ambiguïté du dénouement Quand le rideau tombe sur les dernières paroles de Jupiter célébrant ce couple, que l'adultère n'effleura et n'effleurera jamais le spectateur ne laisse pas d'être perplexe. On peut certes créditer Alcmène et Amphitryon d'un avenir parfaitement serein, mais dans le passé tout proche l'adultère a bien été commis, puisque Alcmène porte le fils de Jupiter. Le même Jupiter avait déjà affirmé plus haut : C'est Alcmène qui avait remporté sur moi la victoire et pourtant il a bien passé avec elle une nuit trois fois plus longue qu'une nuit ordinaire. [...]
[...] Il introduit de la fantaisie Même si le dramaturge moderne peut prendre des libertés avec les caractères et les situations, le cadre général du mythe reste contraignant : Jupiter possédera Alcmène. En revanche, il a toute latitude de donner libre cours à sa fantaisie dans le détail. Giraudoux ne s'en prive pas, usant alternativement de l'humour, de l'anachronisme et de la parodie. L'humour De l'humour, façon plaisante de présenter les choses, on trouvera des échantillons dans presque toutes les scènes. [...]
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