« Il nous semble tout naturel aujourd'hui d'aimer Ronsard et de relire de temps à autre quelques sonnets des Amours. Avant Sainte-Beuve et hors d'un cercle assez étroit de curieux, Ronsard était à peu près estimé à l'égal de Nostradamus ! », souligne Rémy de Gourmont dans ses Promenades littéraires, ajoutant au sujet du critique : « Il a frappé la littérature française à son effigie, et cette monnaie circule toujours ». C'est dire l'importance du jugement de Sainte-Beuve sur Ronsard. En effet ce dernier réhabilite le nom du poète dans nos esprits après qu'il ait essuyé bon nombre de critiques: peu de temps après sa mort, Ronsard tombe en disgrâce. Malherbe le condamne pour la luxuriance de sa langue ; les classiques n'y trouvent rien de ce qu'ils aiment : la mesure, la raison, la rigueur et le bon goût ; Voltaire le juge «barbare», au XVIIème siècle le Grand Arnauld parle de ses « pitoyables poésies ». Le « prince des poètes » avait pourtant connu gloire et fortune en son temps, ce qui illustre de manière frappante combien la réception, la lecture de poèmes peut être contrastée.
« Là où le peuple des lecteurs serait tenté de l'estimer enragé, furieux et inintelligible, il suffit quelquefois de pardonner une expression basse, de comprendre un tour obscur, de pénétrer une allusion érudite, en un mot de soulever un léger voile pour le trouver éblouissant et inspiré. Ses beautés ont souvent besoin d'être démontrées avant d'être senties. », déclare Sainte-Beuve au sujet de Ronsard dans ses Portraits et Causeries. Ainsi le critique évoque les préjugés potentiels du lecteur de Ronsard et insiste sur le fait qu'il ne faut pas s'arrêter à une telle lecture, les secrets de la poésie ronsardienne se révélant suite à un certain approfondissement. Selon Sainte-Beuve, l'ensemble des lecteurs de condition et de culture modestes -comme le suggère le terme de "peuple"- estime que le poète fait preuve d'une trop grande ardeur, de trop de ferveur, adopte dans ses vers un comportement proche de la folie alors qu'il faut accepter de considérer cet aspect avec indulgence et se pencher sur la compréhension de la polysémie du texte, le déchiffrer pour le découvrir animé d'un puissant élan créateur et se voir surpris de sa qualité.
Sainte-Beuve pose ainsi le problème de la lecture de Ronsard, de la réception d'une œuvre poétique. En effet une fois publiée l'œuvre échappe à son auteur et est déposée entre les mains du lectorat. Comment peut-on ou doit-on lire le recueil des Amours de Ronsard et l'apprécier ?
Selon le critique, la poésie de Ronsard ne se donne pas immédiatement et implique un travail d'interprétation du lecteur, mais n'est-ce pas là limiter les lecteurs et -ou- la portée de la poésie ronsardienne que lui refuser une valeur intrinsèque à la première lecture ? Une notion de spontanéité liée à la fugacité des premières impressions ? N'y a-t-il pas finalement deux lectures possibles de cette poésie se répondant et se complétant pour aboutir à une lecture idéale ?
[...] Marc-Antoine Muret, proche et ami de Ronsard qui a produit des commentaires de son œuvre publiés dans l'édition de 1553, prétendait maintenir la vertu occulte du texte tout en offrant des éclaircissements indispensables, travail que, selon lui, seul un familier du poète pouvait prétendre réussir. Ce faisant, il souligne l'opacité des vers de Ronsard voire la nécessité d'un lectorat de choix pour les apprécier. Ainsi une lecture superficielle de Ronsard laisse-t-elle au lecteur non averti une impression désagréable. Sa poésie parait hermétique, emphatique, parfois à la limite du trivial ou de l'obscène . [...]
[...] Sainte-Beuve pose ainsi le problème de la lecture de Ronsard, de la réception d'une œuvre poétique. En effet une fois publiée l'œuvre échappe à son auteur et est déposée entre les mains du lectorat. Comment peut-on ou doit-on lire le recueil des Amours de Ronsard et l'apprécier ? Selon le critique, la poésie de Ronsard ne se donne pas immédiatement et implique un travail d'interprétation du lecteur, mais n'est-ce pas là limiter les lecteurs et la portée de la poésie ronsardienne que lui refuser une valeur intrinsèque à la première lecture ? [...]
[...] On peut ainsi aborder l'œuvre de Ronsard de diverses manières. Dans son Abrégé de l'art poétique français, Ronsard disait : "La Poésie n'était au premier âge qu'une Théologie allégorique, pour faire entrer au cerveau des hommes grossiers par fables plaisantes et colorées les secrets qu'ils ne pouvaient comprendre." Il marque ainsi une volonté de se dissocier de cette poésie, la sienne ne livrera pas ses secrets aussi facilement et ne sera pas grossière, "basse", mais elle donnera l'envie au lecteur de les chercher, et ce dès la première lecture. [...]
[...] Mais là réside aussi sa faiblesse. Pétrarque et Pietro Bembo, Horace, Anacréon ou Pindare ne sont pas seulement pour lui des références ou des sources d'inspiration mais des objets d'imitation, au point que certaines pièces ressemblent à des tissus d'emprunts. Il faut ajouter à cela l'attirail mythologique et l'étalage d'érudition qui ont pu appeler, du vivant même de Ronsard, notes et commentaires. Les premiers vers du quatre-vingt dix-neuvième poème -il s'agit d'une chanson, l'œuvre en compte trois- en offrent une image assez parlante : D'un gosier machelaurier, J'oi crier Dans Lycophron ma Cassandre [ . [...]
[...] Ce qui peut également frapper à la lecture immédiate de Ronsard, c'est l'originalité des images. Même pour le lecteur contemporain des Amours, les images sont inédites. En effet comme l'explique Isabelle Pantin dans Les Amours et leurs nœuds de philosophie Ronsard tenait à entrer avec éclat et originalité dans un genre dont il redoutait la mièvrerie et les conventions Il semble vraiment avoir tenté une expérience nouvelle en choisissant de se référer à des théories physiques peu orthodoxes avec un brin de provocation et en mariant l'érudition ostentatoire au ton désinvolte. [...]
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