Si les premières occurrences de livres destinés à un public d'enfants ne franchissent pas les limites du cadre réaliste, avec Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur par exemple, le développement de ce type de littérature au XIXe siècle va de pair avec l'émergence du merveilleux dans les récits proposés.
Le merveilleux se définit comme un mode de vraisemblance spécifique qui accepte le surnaturel positif des contes de fées. Étymologiquement issu du latin miribilia, signifiant “chose étonnante, admirable”, le merveilleux renvoie donc à une relation esthétique à l'univers dépeint. Ainsi en est-il dans Les Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, le Magicien d'Oz de Baum, Peter Pan de Barrie, mais aussi au début du XXe siècle chez Marcel Aymé, dans les Contes du Chat perché.
La corrélation historique entre l'apparition des œuvres pour la jeunesse et la création d'univers de fiction merveilleux dans celles-ci donne à penser qu'un lien étroit existe entre le public auxquels les livres sont destinés et le recours à un univers diégétique non réaliste. Ce rapport permet dès lors de penser la spécificité de la littérature pour la jeunesse à travers cette caractéristique, et ainsi peut-on dire que loin d'être un simple décor pour l'aventure, l'univers de fiction merveilleux est l'un des lieux où se définit la littérature pour la jeunesse.
Quelle définition l'observation de l'univers de fiction merveilleux construit-elle de la littérature pour la jeunesse ? Comment ces liens s'expriment-ils au sein des œuvres ?
[...] Ce rapport permet dès lors de penser la spécificité de la littérature pour la jeunesse à travers cette caractéristique, et ainsi peut- on dire que loin d'être un simple décor pour l'aventure, l'univers de fiction merveilleux est l'un des lieux où se définit la littérature pour la jeunesse. Quelle définition l'observation de l'univers de fiction merveilleux construit-elle de la littérature pour la jeunesse ? Comment ces liens s'expriment-ils au sein des œuvres ? Nous verrons dans un premier temps que l'univers de fiction merveilleux est le lieu de recomposition ludique d'un univers plus réaliste. Nous observerons ensuite que la disparition de l'instance parentale s'allie à la prise de pouvoir de l'enfant producteur de fiction pour la création d'un merveilleux du quotidien qui est aventure en elle-même. [...]
[...] L'enfant libéré de l'adulte applique néanmoins les objets du monde réel transmis par l'adulte dans le lieu merveilleux : Dorothy est la gardienne du quotidien. Elle fait l'expérience de la nécessité de dormir, on l'a vu, et de manger : à la page 39 on peut lire La fillette remarqua qu'il n'y avait plus beaucoup de pain dans le panier et elle se sentit soulagée à la pensée que l'épouvantail n'avait pas besoin de manger, car il restait tout juste assez de pain pour elle et Toto pour la journée L'épouvantail formule à la page précédente cette vérité : Ce doit être malcommode d'être fait de chair, dit l'épouvantail, songeur ; car il faut manger, dormir, et boire La réflexivité que la formulation implique chez l'enfant qui la reçoit provoque une prise de conscience et un accroissement de la connaissance de soi. [...]
[...] Le merveilleux passe par la sphère du jeu, or, le jeu, c'est du langage : puisqu'on ne fait pas réellement les choses, pour qu'il soit manifeste qu'on joue à les faire, il faut les formuler. La coquille vide du jeu du quotidien, c'est l'image de la littérature, des mots qui rendent compte du réel sans en être. Dans leurs jeux sur le quotidien, les enfants écrivent du quotidien. Ils se superposent donc au narrateur et prennent le pouvoir d'invention. Mis en scène par Carroll dans son poème liminaire, assumé par Baum dans ses préfaces, l'univers de fiction merveilleux est réalisé par le biais d'un héros narrateur. [...]
[...] Ainsi, explorant les limites du jeu à travers les limites de saisie du réel que propose l'univers merveilleux construit, il produit le désir de retour au réel. La littérature de fiction se caractérise par la ressaisie des éléments du monde dans un ordre qui fasse sens. En ressaisissant les éléments du quotidien dans un ordre ludique, l'univers de fiction merveilleux de la littérature pour la jeunesse raconte le monde de manière accessible à une conscience en construction, qui ne détient pas les mêmes clés de compréhension du monde réel qu'un adulte. [...]
[...] Dans l'écart non éprouvé entre le cadre et la cause profonde se situent les possibilités de glissement et de réinvention du quotidien par l'enfant : ses tentatives d'explicitation du monde par le principe de causalité trouvent dans le système qu'il applique peu d'éléments permettant de le rattacher à un besoin qu'il éprouverait. Le rituel du thé dans Les Aventures d'Alice au pays des merveilles est par exemple détourné de deux manières : les personnages du Chapelier et du Lièvre de Mars prennent le thé tout le temps, et Alice ne le prend jamais. Le premier détournement correspond à la mise en scène hyperbolique de l'absurdité d'un système ; le second à l'expression de l'absence d'un quelconque besoin réel qu'il viendrait combler. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture