Alain-Fournier est l'auteur d'un seul livre. Tué dès le début de la guerre de 14, il reste connu pour son Grand Meaulnes, roman initiatique et poétique. Au cours d'une fête étrange dans un château mi-réel, mi-rêvé, Augustin Meaulnes rencontre fugitivement Yvonne de Galais dont il tombe amoureux. Il n'a plus d'autre but que de la retrouver et passe des journées entières à la guetter, en vain. Il fait part ici de son désespoir, dans une lettre à son ami François Seurel, son camarade de classe et le narrateur du roman.
Ce moment de confidence présente Meaulnes rongé par l'attente. Raconter l'impasse dans laquelle l'a mis son fol espoir de bonheur permet à Augustin, par-delà sa souffrance, de mesurer la réalité de son échec.
[...] A l'exception du troisième paragraphe, les lieux sont extérieurs. Ce sont la rue gelée le pas de la porte la gare le banc C'est certes un décor sommaire, mais qui élabore efficacement le cadre de l'attente monotone et glacée. Ce sont des lieux de passage où précisément rien ne se passe. Ce thème du passage devient obsessionnel pour Meaulnes qui est systématiquement attiré par ces lieux-frontières que sont la fenêtre les volets la vitre le rideau Tous ces éléments ont en commun de permettre un lien entre l'extérieur et l'intérieur, entre le monde et le coeur. [...]
[...] Son union avec Yvonne est consacrée, le nous collectif et le notre possessif fondant véritablement la légitimité de leur couple. Mais le rêve contient en lui-même les germes de sa fin prochaine. Ce regard intérieur, qui vient suppléer l'impossibilité réelle de la vue à travers le rideau tiré, ne peut à terme que se révéler inopérant. Et d'abord parce qu'il n'est qu'un gigantesque cliché. Il n'est pas étonnant qu'Yvonne parle peu, qu'elle soit peu décrite. L'héroïne doit échapper à toute réalité, pour n'être plus que la femme idéale, belle et douce. [...]
[...] Ses fourrures sont toutes glacées, sa voilette mouillée ; elle apporte avec elle le goût de brume du dehors ; et tandis qu'elle s'approche du feu, je vois ses cheveux blonds givrés, son beau profil au dessin si doux penché vers la flamme . Hélas ! La vitre reste blanchie par le rideau qui est derrière. Et 20 la jeune fille du Domaine perdu l'ouvrirait-elle, que je n'ai maintenant plus rien à lui dire. Notre aventure est finie. L'hiver de cette année est mort comme la tombe. Peut-être quand nous mourrons, peut-être la mort seule nous donnera la clef et la suite et la fin de cette aventure manquée. Seurel, je te demandais l'autre jour de penser à moi. [...]
[...] Meaulnes, par cette comparaison, mesure l'absurdité de son attente qui équivaut à l'attente d'un mort, d'une morte. Mais, comble de sa folie, c'est au moment où il est conscient de l'absurdité de sa situation qu'il l'aggrave en s'enfermant dans un rêve de bonheur. Plus dure encore sera la chute. Îlot de bonheur au coeur de cet extrait, le troisième paragraphe marque l'irruption du rêve dans la réalité. Tout à coup, Meaulnes se plaît à imaginer ses retrouvailles avec Yvonne. Comment cette imagination prend-elle corps dans le texte ? [...]
[...] L'élan retombe : hélas il faut revenir à la réalité. Meaulnes le sait bien qui parle aventure Le rêve du bonheur s'éloigne de lui. De fait, aucune communication ne peut s'établir entre ces deux êtres ; Augustin s'en rend compte lui-même : je n'ai maintenant plus rien à lui dire Cette impasse du rêve est soulignée par le dernier paragraphe. Le discours doit se clore, faute de pouvoir être alimenté. C'est pourquoi il faut préférer l'oubli : Il vaut mieux m'oublier dit Meaulnes avant d'élargir le champ de l'oubli à l'infini : Il vaudrait mieux tout oublier Le conditionnel traduit la difficulté de cet oubli. [...]
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