Montaigne est un de ces auteurs auxquels on ne peut se contenter de s'intéresser, mais pour lesquels on éprouve sympathie ou antipathie; même si notre sentiment est plus nuancé, Montaigne ne laisse pas indifférent, car il nous oblige à nous définir par rapport à lui-même. Depuis Pascal, nombreux sont ceux qui ont condamné en Montaigne un individualisme qui se confondrait avec l'égoïsme, et un abandon aux penchants de la nature. Brunetière, qui n'aime guère Montaigne, imitant le jugement de Sainte-Beuve sur Molière, écrit : « Aimer Montaigne, c'est s'aimer soi-même... » II semblerait, par avance, identifier Montaigne et ses disciples à Gide, qui d'ailleurs ne désavouerait pas cette filiation. Mais s'il est vrai que Montaigne commande toute la lignée de ceux qui ont fait du culte du moi ou de l'égoïsme leur doctrine, il importe d'apporter quelques nuances dans ce jugement.(...)
[...] En ce qui concerne la vérité, Montaigne est bien loin de s'en prétendre le seul détenteur. Les Essais ne ressemblent ni aux Confessions de Rousseau, soucieux de se présenter comme un être exceptionnel, ni aux Mémoires d'Outre Tombe de Chateaubriand où l'auteur pose pour la postérité au milieu de splendides évocations. Les Essais n'offrent de Montaigne que des images fragmentaires au hasard des circonstances. S'il soumet à son jugement tout ce qu'on lui enseigne, comme Descartes l'exposera dans son Discours de la méthode, et s'il souhaite qu'on veille à former l'esprit critique pour être en mesure de rechercher la vérité, nous ne pouvons que l'en approuver. [...]
[...] Le fait que Montaigne rappelle, avant Pascal, que l'homme n'est, ni ange ni bête, doit nous avertir qu'il ne veut pas laisser le corps asservir l'âme. Aussi bien a-t-il souvent mis en garde contre les excès des plaisirs eux-mêmes. L'intempérance est peste de volupté (III, 12). En aucune chose l'homme ne sait s'arrêter au point de son besoin : de volupté, de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu'il n'en peut étreindre; son avidité est incapable de modération. (III, u). [...]
[...] De là la réserve de Montaigne à l'égard de tout engagement et ce souci de préserver son indépendance dans la société. Ménager sa volonté (III, 10) est son souci primordial et il n'hésite pas à écrire : Mon opinion est qu'il se faut prêter à autrui et ne se donner qu'à soi-même. Ou encore : Tu as bien largement affaire chez toi, ne t'éloigne pas. Il rapporte que son père avait ouï dire qu'il se fallait oublier pour le prochain, que le particulier ne venait en aucune considération au prix du général. [...]
[...] Ce n'est ni chasteté ni tempérance. (III, 2). La jeunesse et le plaisir n'ont pas fait autrefois que j'aie méconnu le visage du vice en la volupté; ni ne fait à cette heure le dégoût que les ans m'apportent, que je méconnaisse celui de la volupté au vice. De ceux qui voudraient oublier le corps, il dit : Ils veulent se mettre hors d'eux et échapper à l'homme. C'est folie; au lieu de se transformer en anges, ils se transforment en bêtes; au lieu de se hausser, ils s'abattent. [...]
[...] Est-il exact que Montaigne se ferait seul juge de la vérité, de la justice et du devoir? Sans doute sa conception de la vérité n'a rien à voir avec la soumission au dogmatisme. Cela apparaît à la fois dans les conceptions pédagogiques qu'il expose dans l'Institution des enfants et dans le scepticisme qui se dégage de l'Apologie de Raymond Sebond. Montaigne critique la méthode dogmatique dans l'éducation : Notre âme ne branle qu'à crédit, liée et contrainte à l'appétit des fantaisies d'autrui . [...]
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