Adolphe, publié pour la première fois en 1816 est la seule œuvre romanesque et volontairement littéraire de Benjamin Constant. Il s'agit d'un roman dont l'intrigue est extrêmement concentrée, Constant a voulu écrire un roman "dont les personnages se réduiraient à deux, et dont la situation serait toujours la même". Adolphe apparaît comme une expérimentation, une mise en scène d'un amour "moderne post-révolutionnaire" pour citer André Suarès. Il propose d'effectuer une "observation du cœur humain" ce qui fait de cette œuvre un roman d'analyse.
Il s'agira dans ce qui suit de voir en quoi Adolphe est également un roman tragique tout d'abord observant la fatalité qui pèse sur les héros. Puis nous confronterons ce roman aux principes de la tragédie classique, en particulier les sentiments de crainte et de pitié qu'elle doit être en mesure de susciter. Enfin, nous étudierons les autres caractéristiques qui font de ce roman un roman tragique notamment ce qui fait d'Ellénore et Adolphe des héros tragiques et l'enfermement dans l'espace et le temps.
[...] Clément Rosset, toujours dans La philosophie tragique expose les trois phénomènes tragiques : l'échec de l'affectivité, la découverte de la mort et la découverte de la "non-valeur de l'homme". Le premier phénomène paraît le plus évident dans le roman, l'amour d'Adolphe pour Ellénore est assez fort pour le retenir près d'elle mais trop faible pour le rendre heureux. Ce couple vit un amour sans bonheur. Les sacrifices perpétuels d'Ellénore resserrent sans arrêts leur lien mais d'une manière totalement artificielle. André Suarès écrit : vois une haine qui aime et un amour qui hait". [...]
[...] de dans laquelle il parle de cette rupture imminente. Le récit des premiers malaises étonne Adolphe, à la place de tout autre sentiment d'empathie : "Quel fut mon étonnement lorsqu'on me dit que depuis douze heures, elle avait une fièvre ardente". Cette agonie terrible d'Ellénore est décrite de la façon la plus sobre possible, le vocabulaire pathétique est utilisé avec une parcimonie étonnante. On peut relever des termes comme : "angoisse", "infortunée", "terrible", mais ces termes qui vont dans le sens du pathos sont bien peu nombreux face au désespoir d'Ellénore. [...]
[...] Ainsi dans Adolphe, la fatalité est omniprésente, mais elle n'est pas le fait d'une instance supérieure extérieure aux personnages, on parlera plutôt dans ce roman de fatalité interne, celle-ci paraissant être régie uniquement par les caractères des héros. Nous avons également remarqué que les sentiments de crainte et de pitié, que la tragédie antique s'efforce de faire ressentir sont présents, de façon plus ou moins nuancée, dans ce roman. Enfin, la stupéfaction, le tragique des personnages en eux-mêmes en tant que héros tragiques et l'enfermement dans le temps et l'espace complètent les arguments qui font d'Adolphe un roman tragique. [...]
[...] ) cette situation se prolongea. Chaque jour je fixais le lendemain comme l'époque invariable d'une déclaration positive, et chaque lendemain s'écoulait comme la veille." Cet extrait du chapitre II répond à celui-là du chapitre IX : "Chaque minute ajoutait à la nécessité d'une explication. Des trois jours que j'avais fixés, déjà le second était près de disparaître . La nuit revint, j'ajournai de nouveau. Un jour me restait ( . ) ce jour se passa comme le précédent". Le portrait d'Ellénore au chapitre II est marqué lui aussi de ce caractère itératif, il ne s'agit pas d'un portrait en action, le temps choisit est l'imparfait : "Ellénore n'avait qu'un esprit ordinaire ( . [...]
[...] La narration appuie ce sentiment d'une fatalité interne, la concentration extrême, le flou de la société autour d'eux font qu'on se concentre sur les deux personnages et qu'aucune instance extérieure ne paraît être à l'origine de la tragédie. Puisqu'il n'y a qu'eux, le fatum ne peut venir que d'eux, que du microcosme qu'ils forment. Le narrateur ne donne pas de description du cadre, ce qui donne l'impression que les personnages ne le voient pas non plus. Le monde est abstrait, et cette abstraction va dans le sens de la concentration tragique. [...]
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