Dans sa fable intitulée Les Deux Pigeons, La Fontaine écrit : « ... un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) ... » Après avoir recherché les causes qui ont pu amener La Fontaine à formuler ce jugement sévère, vous direz quelles réflexions il vous suggère.
La Fontaine n'a jamais accordé beaucoup d'intérêt à l'enfance. On connaît la manière dont il a abandonné l'éducation de son fils. Il parle des enfants comme étant « ce petit peuple » « doublement sot, et doublement fripon / Par le jeune âge » dans L'Ecolier, le Pédant et le Maître d'un jardin , Livre IX, fable 5. Il donne encore la preuve de son désintérêt, voire de son mépris, dans la fable intitulée Les Deux Pigeons. Depuis La Fontaine jusqu'au début du XXe siècle, la critique a désapprouvé la sévérité avec laquelle le fabuliste jugeait les enfants. On ne croyait pas que cet âge fût « sans pitié ».
[...] Quelquefois il levait une armée de tous les sautereaux qu'il rencontrait, divisait ses conscrits en deux bandes, et nous escarmouchions sur la plage à coups de pierres. (Mémoires d'outre-tombe, 5). On peut, sans contredire pleinement La Fontaine, soutenir que la pitié chez l'enfant est uniquement une affaire d'éducation et qu'il est presque plus facile de l'attendrir et de l'apitoyer que de l'endurcir et de le rendre cruel. On sait comment Fénelon réussit à dompter les emportements de son élève, le duc de Bourgogne, au point de le rendre timide. Si l'exemple est donné par les parents et éducateurs, la pitié naît naturellement. [...]
[...] Tant qu'on ne l'a pas éduqué, il reflète l'humanité primitive encore dans son enfance : dans cet état de pure nature, l'homme n'avait que son instinct. Comme les bêtes, il ne connaissait ni la cruauté ni la pitié. Avait-il seulement la notion du bien et du mal ? Mais un tel homme dont l'enfant nous offre le reflet, est inadapté à l'état social actuel, au monde transformé. L'enfant a donc besoin d'éducation pour avoir de la pitié. On peut donc soutenir, contrairement aux affirmations de Rousseau, que la pitié est un sentiment essentiellement développé par la société. [...]
[...] Mais cet instinct s'exerce maintenant à vide chez un être social qui n'en a nul besoin. Et l'enfant ne réfléchit pas sur le mal qu'il fait à l'animal. Il faut que la société le lui explique, sinon il se pervertira encore plus en y prenant plaisir comme s'il avait vaincu un ennemi. Il ne faut donc pas rejeter a priori le jugement de La Fontaine, en s'attendrissant niaisement sur la prétendue bonté naturelle du jeune âge. Inversement, il n'y a pas à s'étonner de la survivance des instincts primitifs de chasse, de défense, de lutte, de nutrition. [...]
[...] L'absence de parents, leur désunion, leur carence éducative, le manque de tendresse peuvent, on le sait, pervertir un enfant ou simplement ne pas favoriser la naissance du sentiment de pitié. Vivant dans un monde impitoyable, n'ayant jamais été pris en pitié lui-même, le jeune être s'identifie au monde qui l'entoure : il est sans pitié. La presse contemporaine fait parfois état d'actes odieux commis par des enfants de douze ans tyrannisant leurs parents trop indulgents. Il devait exister au temps de La Fontaine des fils de bourgeois ou de nobles, adorés de leurs parents qui contemplaient en eux l'héritier de la fortune ou du nom et qui pouvaient leur dire, comme Villeroy à Louis XV âgé de cinq ans : Tout ce peuple est à vous. [...]
[...] Racine ne considère que le rôle social ou politique d'un jeune prince. La Bruyère, en célibataire pessimiste, condamne les enfants : Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés ; ils rient et pleurent facilement ; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets ; ils ne veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire ; ils sont déjà des hommes. La Fontaine semble donc partager certains points de vue de ses contemporains. [...]
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