Messieurs,
Qu'il me soit permis de déranger l'ordre du jour de notre assemblée en livrant à votre réflexion et à votre sagacité ce qu'il m'a été donné de voir il y a peu de temps. Vous voudrez bien me pardonner l'émotion vive, mêlée de tristesse et de colère, avec laquelle je m'adresse à vous ce soir.
Vous n'ignorez pas, Messieurs, que notre capitale offre en bien des endroits le spectacle de la misère. Il vous est arrivé, je pense, de passer en voiture, dans des rues sombres et humides et d'y voir s'avancer des femmes et des enfants faméliques, déguenillés. Saisissant et cruel contraste avec nos palais resplendissants, nos réceptions où l'abondance et le faste se donnent rendez-vous. Je sais qu'il y a parmi vous bien des hommes vertueux et sensibles qu'une telle misère, liée au développement d'une classe ouvrière, préoccupe.
[...] Certes on ne peut pas tout voir, pas plus qu'on ne peut à chaque instant soulager les infortunes qu'abrite une grande ville comme Paris. Mais j'ose vous le dire et vous le répéter, sans crainte de vous irriter, il n'est pire imprudence, pire malhonnêteté que de refuser de voir, de fermer les yeux sur l'injustice, sur les souffrances dont seule la société est coupable ! C'est bien la leçon que je tire de la scène dont je vous parle. Je ne ferai pas le procès de la duchesse de elle n'est qu'un exemple. [...]
[...] Je sais aussi qu'il est lointain, que le chemin est bien long, qu'une vie d'homme ne suffira pas à voir l'épouvantable Détresse terrassée. Mais ce qui est possible dès demain, possible à tout un chacun, c'est de regarder, de tourner la tête vers ceux qui sont à terre. D'observer leur existence et de la comprendre pour tenter de la sauver. Ce qui est possible, mais aussi qui est de notre devoir d'humains, c'est de leur parler, de renouer le lien avec eux. [...]
[...] Une vague des ouvriers, de l'innocente héritière, promise à une existence bourgeoise. Une vague, nommez-la Révolution Si vous ne pouvez gémir devant le spectacle de gens jetés à la rue, d'enfants privés de joie et d'instruction, alors au moins imaginez-vous le sourd grondement de la vague, et tremblez ! Mais nous qui sommes élus, nous qui ne sommes dépourvus ni d'humanité ni de raison, détenons encore le pouvoir d'éviter la catastrophe. C'est pourquoi je vous demande solennellement que nous réfléchissions ensemble et dès maintenant à tout ce qui pourra d'abord apaiser la condition des plus pauvres, et je veux parler des ouvriers de nos villes avec leurs familles. [...]
[...] Et comment souffrir si longtemps une indifférence qui n'est que méprise, supporter une interminable humiliation s'ajoutant à la dureté des jours de disette ? Le pauvre, libre ou entre deux gendarmes, ne trouve pas de réponse à ces questions. Une voix monte en lui et lui crie : Révolte ! Révolte ! Plus rien à perdre, venge-toi de tant de richesse et de dédain. Messieurs, nous marchons sereins vers une vague immense qui emportera tout, nous engloutiront, avec nos biens, nos œuvres d'art, nos livres, nos raffinements, nos plaisirs. [...]
[...] Sujet d'invention : À son arrivée à la Chambre des Pairs, le narrateur, sous le coup de l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire-part de son indignation et plaider pour plus de justice sociale Messieurs, Qu'il me soit permis de déranger l'ordre du jour de notre assemblée en livrant à votre réflexion et à votre sagacité ce qu'il m'a été donné de voir il y a peu de temps. Vous voudrez bien me pardonner l'émotion vive, mêlée de tristesse et de colère, avec laquelle je m'adresse à vous ce soir. [...]
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