Monsieur le Maire,
J'habite la ville de *** dont vous êtes le maire depuis dix ans et tiens à vous faire part d'une scène que je n'aurais pas imaginée dans notre localité agréable et fleurie, qui ne s'est jamais fait remarquer par la détresse sociale. Je vous écris en simple citoyen, qui n'a pas fait d'engagement ni l'intention d'attaquer votre politique. Je souhaite simplement porter à votre connaissance une cruelle injustice.
Je ne passe pas souvent par le quartier Saint-Vincent, à l'est de la ville. J'ai la chance d'habiter une vieille maison proche du centre, mon décor familier est celui des ruelles pavées et fleuries, bordées de commerces avenants. A dix minutes à pied, le quartier Saint-Vincent est un autre monde, que je connaissais mal avant de le traverser : des immeubles bleu-gris défraîchis, de trois ou quatre étages, avec des pelouses jaunies, un triste centre commercial et un parking.
[...] Vous avez dans vos discours, notamment lors de la dernière campagne des municipales, manifesté votre souci d'intégration des familles immigrées qui ont bien sûr des devoirs vis-à-vis du pays d'accueil ; et je crois que celle dont je vous parle ne manque pas aux siens ; mais que l'on doit aider à comprendre notre culture et encourager lorsqu'elles se montrent travailleuses. Oserai-je vous rappeler que vous trouvez maintenant l'occasion de mettre votre discours et vos actes en concordance ? Je ne doute pas, Monsieur le Maire, de votre intervention rapide auprès de la famille et des services sociaux et vous remercie de l'attention que vous aurez accordée à la lettre d'un de vos concitoyens, qui gardera longtemps en mémoire le regard perdu d'un enfant sur le bord du trottoir. Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'expression de toute ma considération. [...]
[...] Un homme les rejoignit puis deux adolescentes, la mère les embrassa. Au milieu d'eux les deux petits, désormais protégés par ceux qui formaient forcément leur famille. Un agent de police vint parler au père qui paraissait consterné, les bras ballants. Tout le groupe s'était calmé, mais semblait traversé d'une même tristesse. J'abordai deux hommes qui devaient être leurs amis ou leurs voisins. Ils m'expliquèrent que toute la famille, qui comptait sept enfants, allait être expulsée de son logement en raison de loyers impayés depuis un an. [...]
[...] J'avançai et décidai de stationner un peu plus loin et d'aller voir ce qui se passait. Je m'approchai des habitants rassemblés et aperçus de nouveau les deux petits toujours seuls. Que pouvait-il se passer ? Impossible de parler à des adultes, tous africains, apparemment bouleversés, qui parlementaient en faisant de grands gestes avec des agents s'efforçant de rester calmes et quelques employés en civil. La seule chose qui me tourmentait, c'était de voir la détresse des deux enfants, accablés par une situation qui les dépassait. Pourquoi leur mère n'était pas avec eux ? [...]
[...] Je vous précise qu'il s'agit d'une famille en situation régulière dans notre pays, son chef n'a jamais cessé de travailler depuis qu'il est arrivé en France, la mère s'occupe parfaitement de ses enfants, les aînés suivent des études sérieuses au collège voisin. Et bien entendu, jamais la police n'a entendu parler d'eux avant cette expulsion. Je concède que la commune ne peut accepter que les loyers restants impayés, que chacun doit prendre ses responsabilités et ne peut vivre aux dépens de la collectivité. [...]
[...] Très vite il en oublia les loyers, et aux premières réclamations, pensa qu'en travaillant plus le soir il arriverait à joindre les deux bouts. Aujourd'hui, par un beau matin de printemps, il devait quitter, avec ses sept enfants, le logement quartier Saint-Vincent. Pour aller où ? Apparemment les autorités venues procéder à l'expulsion ne proposaient rien. Je quittai les habitants du quartier, embarrassé de ne pouvoir aider une famille honnête. Vous comprenez aisément, Monsieur le Maire, pourquoi je m'adresse à vous aujourd'hui. La solution ne peut venir que de vous. [...]
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