"Vivre, c'est faire vivre l'absurde. Le faire vivre, c'est avant tout le regarder." Voici une phrase de Camus qui résume toute l'ampleur de son entreprise et qui définit indirectement le rôle du théâtre. Ce dernier doit permettre aux spectateurs de contempler l'absurdité et les contradictions de la condition humaine. On ne peut pas dissocier les pièces de théâtre de Camus (qui sont au nombre de quatre) de leur projet ontologique qui est pleinement exprimé dans l'essai Le Mythe de Sisyphe. Ce qui intéresse Camus, c'est la révolte de l'homme contre son monde environnant car l'absurde n'est ni dans l'un ni dans l'autre mais dans la présence des deux, dans leur cohabitation impossible. Cette révolte est métaphysique et elle prend différentes formes selon le décor historique (Caligula apporte une coloration antique mais les questions soulevées ne sont pas tellement différentes de celles posées dans Les Justes qui nous introduit dans la Russie au début du XXème siècle.) Or, la perspective sartrienne adoptée dans le théâtre est en fait autre : c'est un théâtre de situations parce qu'il place l'homme en situation c'est-à-dire dans des circonstances où son acte va engager toute l'humanité et modifier l'histoire. Mais ces situations sont le plus souvent contemporaines, elles sont "visibles" c'est-à-dire qu'elles ont un lien très fort avec le présent : "Au théâtre, il faut rendre les choses visibles; il faut généraliser." Ainsi, ce questionnement prend un caractère plus concret puisque le spectateur est amené à interroger et à confronter la pièce avec des événements actuels. Ce qui est en cause dans toutes ses pièces, qui sont plus nombreuses que celles de Camus, c'est "le sentiment de l'ambiguïté de notre temps." Il semblerait donc que les perspectives adoptées chez Camus et Sartre soient essentiellement différentes même si ces deux auteurs touchent à des thèmes communs et usent parfois d'un style proche. Ceci dit, leur théâtre est en rupture complète avec le théâtre bourgeois en ce sens qu'il possède une portée universelle et qu'il n'a pas pour fonction de divertir une classe. C'est donc un théâtre qui a un message mais le théâtre n'est certainement pas conçu comme un véhicule philosophique mais plutôt comme un mode d'expression à part entière, très efficace en ce sens qu'il transmet des impressions que ne pourraient pas transmettre le roman ou l'essai philosophique. J'aimerais, dans cette étude, effectuer quelques remarques concernant ces deux conceptions du théâtre, à partir de pièces écrites dans les années 1940 et 1950 et qui sont Les Mouches (1941), Morts sans sépulture (1946), Nekrassov (1955), Les Séquestrés d'Altona (1959) pour Sartre et Caligula (1938), Le Malentendu (1944), L'État de siège (1948) et Les Justes (1949) pour Camus.
[...] Jean-Paul SARTRE, Un théâtre de situations, éditions Gallimard p.337. Jean-Paul SARTRE, Nekrassov, éditions Gallimard p.158. Op.cit, p.339. Op.cit, p.51. Ibid., p.213. Jean-Paul SARTRE, Un théâtre de situations, éditions Gallimard, Paris p.348. Ibid., p.349. Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, éditions Gallimard, Paris p.18. Ibid., p.110. [...]
[...] La spécificité du théâtre sartrien par rapport au théâtre camusien "Vivre, c'est faire vivre l'absurde. Le faire vivre, c'est avant tout le regarder."[1] Voici une phrase de Camus qui résume toute l'ampleur de son entreprise et qui définit indirectement le rôle du théâtre. Ce dernier doit permettre aux spectateurs de contempler l'absurdité et les contradictions de la condition humaine. On ne peut pas dissocier les pièces de théâtre de Camus (qui sont au nombre de quatre) de leur projet ontologique qui est pleinement exprimé dans l'essai Le Mythe de Sisyphe. [...]
[...] Ibid., p.184. Op.cit, p.437. Ibid., p.414. Jean-Paul SARTRE, l'Existentialisme est un humanisme, éditions Nagel, Paris p.116. Ibid., p.137. Jean-Paul SARTRE, Un théâtre de situations, éditions Gallimard, Paris p.269. Jean-Paul SARTRE, Morts sans sépulture, éditions Marguerat, Lausanne p.77. Jean-Paul SARTRE, Nekrassov, éditions Gallimard, Paris p.35. Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, éditions Gallimard, Paris p.182. [...]
[...] La pièce s'ouvre sur les blasphèmes de Nada : "Ai-je parlé du ciel, juge? J'approuve ce qu'il fait de toute façon. Je suis juge à ma manière. J'ai lu dans les livres qu'il vaut mieux être le complice du ciel que sa victime."[6] Ainsi, Nada se trouve devant un tribunal et devant un juge mais il se substitue à ce dernier et c'est le sens de "Je suis juge à ma manière." Nous observons dans un tel passage l'élaboration d'un Je puisque toutes les phrases prononcées par Nada commencent avec ce pronom sujet. [...]
[...] Or, dans l'acte deux, nous savons que Kaliayev n'a pas pu lancer la bombe puisqu'il y avait des enfants dans la calèche de l'archiduc. Il n'a pas pu se résoudre à sacrifier ces enfants et à justifier leur meurtre. Cette pièce montre l'impasse où peut mener la révolte quand elle veut se justifier à l'aide d'une idéologie. Les questions du meurtre, du suicide et du sacrifice se confondent, elles ne sont pas une solution à l'absurde, elles font au contraire son jeu. [...]
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