Depuis que le pacte autobiographique a été ausculté et ses multiples possibles définis, les rapports entre le vécu personnel et la fiction ont été redéfinis et des termes génériques proposés, du « roman personnel » d'Alain Girard en 1963 à « l'autofiction » de Serge Doubrovsky en 1977. Quoiqu'il en soit, tous les termes qualifiant des « romans du Je » ne sont que les multiples variantes d'un genre mouvant : le récit autobiographique.
[...] Le récit de filiation Dire ses origines (Laurent Flieder). Depuis quelques années, les questions de filiation sont à l'honneur dans la fiction narrative, après le tournant accompli au début des années Quatre-vingt par les œuvres d'auteurs dits néo-romanesques qui marquaient un regain d'intérêt pour l'autobiographie non sans une prise de distance certaine avec les aspects les plus formalistes de l'écriture : C'est ainsi que l'écriture autobiographique est plus volontiers autofictive qu'immédiatement mimétique d'un réel avéré et que le sujet s'appréhende le plus souvent par le détour d'un récit à reconstituer, qu'il s'agisse de se mettre en scène soi-même, ou, comme c'est le cas très fréquemment, d'évoquer le récit ou les figures de ses ascendants. [...]
[...] Serge Doubrovsky explique lui-même, dans Parcours critique (1980), ce que fut la rédaction de Fils : une tentative de mettre par écrit, de faire passer dans l'écrit, ce qui fut l'essence ou le vif d'une longue affaire de parole12 La théorie, pour lui, n'est pas ce qui importe ; il se dit guidé par une envie et un besoin13 La théorie encore balbutiante, n'est pas ce qui précède mais ce qui suit : Le matin, travail. Je m'enferme dans mon bureau, tour Eiffel entre les cils, baisse les paupières. J'écris mon roman. Pas une autobiographie, vraiment, c'est là une chasse gardée, un club exclusif pour gens célèbres [ Moi, je ne suis, dans mon petit deux pièces d'emprunt, personne. [...]
[...] L'autofiction s'annonce alors comme une mise en mots de l'expérience vécue où le temps de la vie deviendrait temps de la narration, privilégiant le travail du style et les jeux d'écriture. Autrement dit, l'autofiction mettrait en scène une parole dont le discours serait polyphonique. Les textes de Serge Doubrovsky prennent forme autour d'un flux incessant d'allitérations, d'associations et de rimes. Avant d'être mémoire organisée, l'écriture est verbe. La parole permet de retranscrire sonorités, rythmes et assonances puisées au puits de la mémoire, et ce dans un renouvellement constant : En tous cas, ma vie me suffit, même si je m'y trouve à l'étroit. [...]
[...] Annie Ernaux est assez peu connue jusqu'à l'obtention du prix Renaudot pour son roman La Place en 1984. Elle connaît alors un succès certain avec cette évocation de son père où se déploie également le récit du difficile épanouissement personnel de l'auteur au sein d'une famille qui ne partage ni ses valeurs ni sa culture. Tous les livres qui suivent, et notamment Une femme (1988), qui évoque la récente disparition de sa mère, portent la marque de la culpabilité de celle qui a réussi La trahison du milieu d'origine est donc sous-entendue ; et c'est ce rejet et cette honte du rejet des origines qui sont le terreau de l'œuvre d'Annie Ernaux. [...]
[...] Reste la particularité, chez Annie Ernaux, de la honte et des douleurs qu'elle engendre. Ces douleurs la poursuivent jusque dans sa vie amoureuse et tout au long de son cycle romanesque, avec Passion simple (1992) ou encore La Honte (1997), et sont jugées responsables de l'échec de sa vie Pierre Bergounioux. On retrouve chez Pierre Bergounioux, au travers d'une écriture austère mais jubilatoire dans sa nostalgie même, la même évocation d'un monde disparu et d'un monde, encore une fois, de petites gens. [...]
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