Le critique littéraire Antoine Compagnon, dans son "Démon de la théorie", rappelle que « la littérature peut être en accord avec la société, mais aussi en désaccord ; elle peut suivre le mouvement, mais aussi le précéder ». Que représente cette aporie pour un historien ? Sans doute la littérature possède cette dimension paradoxale grâce à sa structure hétéroclite : la littérature peut renvoyer au roman, au poème ou à l'œuvre théâtrale ; elle est constituée non seulement des œuvres de grands auteurs reconnus comme tels, mais aussi d'écrivains méconnus ou médiocres.
Ceci explique les différentes positions de la littérature par rapport à la société, qui dépendent de la capacité de l'écrivain à voir son temps, pour parfois le devancer. L'aspect prémonitoire de la littérature n'intéresse que peu l'historien, car sa réalisation semble aléatoire – beaucoup d'auteurs s'y prêtent, peu sont de véritables mages – ou révélatrice d'une autre qualité, déjà évoquée : l'habileté à cristalliser son temps dans une œuvre. Quel est le statut historique d'un ouvrage qui réussirait cette cristallisation ?
S'intéresser aux rapports entre littérature et société en France de 1870 aux années 1980, c'est se demander comment la littérature, par le filtre de l'histoire, permet d'analyser les mutations sociales, qui épisodiquement provoquent également des mutations littéraires.
[...] Tout comme la société, la littérature ne sortira pas indemne de la guerre. Elle portera en son sein les dévastations de la Grande Guerre, mais peut-être aussi un certain renouveau. II 1914-1945 : le temps des crises fait de la littérature un terrain instable La Première Guerre mondiale : une blessure durable qui touche aussi la littérature Que ce soit tout de suite après la guerre ou durant tout l'entre-deux- guerres, les écrivains décrivent le conflit avec toutes ses multiplicités. [...]
[...] De plus, elle ne s'écrit pas forcément en même temps que les mutations sociales témoignent les mémoires ou les autobiographies et il devient intéressant de comparer les parutions ou écrits contemporains (comme les journaux intimes) ou ceux qui sont postérieurs aux événements (les ouvrages cités plus haut, ou les œuvres parues plus tard). S'intéresser sur les rapports entre littérature et société en France de 1870 aux années 1980, c'est se demander comment la littérature, par le filtre de l'histoire, permet d'analyser les mutations sociales, qui épisodiquement provoquent également des mutations littéraires. De 1870 à 1914, l'établissement en France de la IIIe République marque la littérature, qui parfois s'y oppose. [...]
[...] Mais cette lenteur peut être relative selon les secteurs. Maxence Van Der Meersch, avec L'Elu (1937) et son usine de dynamite, prend l'exemple de l'un des bâtiments qui s'est dressé dans le Nord. Il y montre déjà les conditions précaires des ouvriers, et l'usine devient une prison. La société française voit aussi s'ouvrir une certaine modernité technique. Denis de Rougemont, en 1968 avec Journal d'un intellectuel en chômage, se souvient ainsi du progrès qu'a constitué le développement de l'autocar pour les campagnes. [...]
[...] L'apparition de l'école obligatoire et laïque entraîne une restructuration de la société enfantine (pour utiliser de grands mots). Chamson dans son autobiographie évoque avec un certain humour la rivalité entre les écoles laïques (où se trouvent généralement surtout des protestants) et celles des Frères. Les oppositions sont donc d'autant plus vives, et témoignent des rivalités entre les groupes des adultes (ici envisagées par un prisme enfantin : aux insultes de culs blancs et d' enfants de chœur les enfants des écoles catholiques répliquent républicains ou protestants Chamson montre le contraste entre la proximité physique, temporelle des enfants et leur éloignement à cause du contexte : ces garçons qui allaient à une autre école que la notre, aux mêmes heures que nous, toujours séparés de nous et pourtant toujours présents Les luttes sociales sont aussi décrites avec précision, notamment par Zola avec Germinal (1885). [...]
[...] L'usine connaît un bond en avant, avec les véritables débuts en France du travail à la chaîne et de l'automatisation. Roger Vailland, avec 325000 francs (1955), montre ainsi que si la mutation est tardive (seulement à partir des années 1950) elle n'en devient que plus rapide. L'entreprise Morel qui y est décrite y parvient avec difficulté, et au mépris des règles de sécurité, en accélérant immodérément la cadence, ce qui augmente fortement la fatigue des ouvriers et provoque ce mal industriel : l'accident. [...]
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