I. DU MYTHE AU CRIME
A. Les Romains et le mythe grec
Une tragédie romaine est, à l'origine, la traduction (fabula crepidata), ou plus exactement la
transposition d'une tragédie grecque, parfois de plusieurs. Elle est donc la présentation d'un mythe grec,
puisque toute tragédie grecque était d'abord la mise en scène d'un récit mythique.
Un muthos, en Grèce, est une « histoire fabuleuse », un « récit fictionnel », mettant en scène des héros et de dieux. Ce récit ancestral était transmis oralement, avant d'être fixé par la littérature (Homère, Hésiode, puis les tragiques : Eschyle, Sophocle, Euripide). On trouve plusieurs cycles (ou sagas) de mythes : les mythes thébains autour de la famille d'OEdipe ; les mythes athéniens autour de celle de Thésée ; les mythes thessaliens autour de celle de Jason, etc...
Pour les Romains, les mythes grecs sont des histoires à la fois invraisemblables et monstrueuses. Ils leur sont incompréhensibles de par la violence inhumaine qu'ils relatent (ainsi Médée qui tue ses enfants ; OEdipe qui se perce les yeux...), et qui va à l'encontre de ce qui est concevable dans une collectivité civilisée. Médée devrait au moins être jugée et condamnée et non pas triompher comme une créature divine.
Les poètes tragiques latins qui écrivaient leurs pièces à partir de tragédies grecques devaient donc rendre acceptables, autrement dit intelligibles pour leur public les mythes grecs qui constituaient obligatoirement les sujets des tragédies romaines.
Pourquoi ce qui était autorisé pour les Grecs ne l'était pas pour les Romains ? C'est que la culture grecque est une « culture à mythes », ce que n'est pas la culture romaine. Le mythe, en Grèce, appartient à la réalité, il est une donnée de la mémoire collective. Tandis que pour les Romains la mythologie grecque n'est qu'une succession de récits fabuleux qui ne les concernent pas. Même s'ils établissent des équivalences entre les dieux romains et les dieux grecs, la religion romaine reste étrangère à la mythologie grecque. C'est bien parce que les mythes appartiennent, en Grèce, à la réalité que la tragédie grecque existe. Réalité incontournable : la cité devait donc leur trouver une place dans les célébrations solennelles de la mémoire collective ; ce fut à Athènes, la tragédie grecque. (...)
[...] Ce crime relève de l'évidence. Lorsque le héros tragique éprouve encore quelques sentiments humains, son corps se révulse à l'idée de ce qu'il est tenté d'entreprendre. C'est ainsi que Médée commence par rejeter instinctivement l'idée de tuer ses fils (cf Médée, v. 925-932) II. L E F U R O R , L E S P E R S O N N A G E S E T L ' A C T I O N 2 Si le mythe est le sujet d'une tragédie romaine, les personnages en constituent la matière première : ce sont eux qui sont le moteur de l 'action. [...]
[...] Médée, répudiée par Jason, a perdu sa maison au double sens de résidence et de famille. Cette perte, elle l'a subie trois fois, en perdant le pays de son père (Colchos), le pays de son mari (Iolcos), le pays de l'hospitalité (Corinthe). Errante et solitaire, sans demeure, sans foyer, sans mari, sans enfants et sans père, Médée ne peut devenir qu'une sorte de bête. Car, pour les Anciens, l'humanité, c'est-à-dire la civilisation, commence avec la sédentarité. Ce malheur absolu qui frappe Médée est déjà la négation d'elle-même. [...]
[...] Voici ceux des tragédies de Sénèque : - dans Médée. Médée incendie le palais royal de Corinthe, tue le roi et sa fille, égorge ses propres fils ; - dans Thyeste. Atrée tue ses neveux et les sert en repas à leur père ; - dans Agamemnon, Clytemnestre tue son époux Agamemnon et sa captive Cassandre ; - dans Hercule sur l'Œta, Hercule se suicide par le feu ; - dans Hercule furieux, Hercule tue sa femme et ses enfants ; - dans Les Troyennes. [...]
[...] Ainsi, il trouve une place au sein du monde mythologique et retrouve une identité et une noblesse. C'est pourquoi Médée, en incendiant Corinthe, répète le crime de son ancêtre Phaéthon (Médée, v. 32-36): C. L'état final installe un héros exultant, mais exclu de l'humanité. C'est pourquoi Médée s'envole sur un char divin. Cette exclusion de l'humanité par le haut si l'on peut dire, arrache le héros aux contingences humaines, en particulier au temps. C'est pourquoi son malheur initial est annulé. C'est pourquoi Médée exulte à la fin de la pièce (Médée, v. [...]
[...] Il trouvera ensuite dans cette inhumanité douloureuse les forces de la violence qui le feront basculer dans l'inhumanité furieuse, afin de commettre, le cas échéant, le scelus nefas indispensable à sa guérison Car l'exultation finale du furieux est la célébration de son identité retrouvée, la fin du dolor C'est le passé du héros, son propre passé ou celui de sa famille, qui donne à l'événement cause de son malheur un poids inhabituel. C'est le passé de M é d é e qui transforme sa répudiation en expulsion de l'humanité. Le héros tragique a toujours un passé qui lui vient de la mythologie. Il communique avec ce passé par la mémoire Le modèle humain sous-jacent à cette première étape est donc celui d'un malheur subi appelant 4 vengeance. [...]
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