I. LE CADRE TRAGIQUE D'UN RESSERREMENT SPATIO-TEMPOREL
A. Un lieu tragique : enfermement et chambre d'échos
Dans un respect total de l'unité de lieu, l'action se déroule en un seul et même espace, « une salle de la maison d'Horace », comme l'indique la didascalie initiale. Ce huis clos crée une impression d'enfermement et rend sensible physiquement le caractère sans issue de l'intrigue, créant une atmosphère suffocante : les personnages sont comme emprisonnés dans ce lieu qui réunit la tragédie à la fois familiale, amoureuse et politique.
De plus, les personnages présents dans cet espace exigu et confiné, particulièrement les personnages féminins, subissent le contrecoup des actions extérieures et masculines à l'acte III et à l'acte IV, dont elles n'ont que des échos partiels et progressifs. Camille et Sabine sont même directement enfermées dans la maison par les hommes : « Mon père, retenez des femmes qui s'emportent / Et de grâce empêchez surtout qu'elles ne sortent. » (v.695-696) demande Horace à son père au début de la scène 8 de l'acte II. Aussi, à la scène de 2 de l'acte III, Corneille prête à Sabine le constat lucide de la dimension carcérale prise aux yeux des femmes par la maison des Horaces : « Et ne savez-vous point que cette maison / Pour Camille et pour moi l'on fait une prison ? » (v.773-774)
La réécriture tragique des textes de Tite-Live et de Denys d'Halicarnasse consiste donc à déplacer l'intrigue d'un espace ouvert vers un espace privé et clos.
B. Une temporalité tragique : une issue prochaine et inéluctable
Corneille confère une dimension tragique supplémentaire à sa pièce en créant une tension presque continue avec, de surcroît, une gradation croissante d'intensité : le spectateur a ainsi l'impression d'une marche inexorable vers le pire. Pour ce faire, il joue sur plusieurs éléments :
? L'unité de temps (= l'action se déroule en une journée) crée d'emblée une impression de tension et de resserrement (...)
[...] Curiace évoque pour sa part le destin (v.368) et Horace le sort (v.431) et ce dernier, après son crime, se plaint de l'« injustice des dieux (v.1391). Enfin, au dernier acte, pour minimiser la gloire d'Horace, Valère affirme : Et croyez avec nous qu'en tous ses trois combats / Le bon destin de Rome a plus fait que son bras / Puisque ces mêmes dieux, auteurs de sa victoire, / Ont permis qu'aussitôt il en souillât la gloire. (v.1524-1527). Cette vision d'un monde déterminé et caractérisé par le désespoir, omniprésente dans la pièce et surtout chez les personnages féminins dans un premier temps, est l'essence même du tragique. [...]
[...] Cette rime cruelle, qui fait se télescoper le mariage et la mort et préfigure la sépulture commune où seront ensevelis les deux corps, sera reprise par Valère à la fin de la pièce, une fois scellé le destin des deux personnages : Quand, près d'être éclairés du nuptial flambeau, / Elle voit avec lui son espoir au tombeau. v.1505-1506) II. UN CONFLIT TRAGIQUE A. Une situation tragique : le combat trop connu des Horaces et des Curiaces Corneille a justifié son refus de modifier le meurtre historique de Camille en affirmant que l'histoire [était] trop connue (Examen, 1660). Le tragique de ce conflit tient donc d'abord au fait que l'issue en est par avance connue du spectateur : l'Histoire en a comme fixé le destin ; la fin est écrite et rien n'y pourra changer. [...]
[...] Camille affirme quant à elle que Le ciel agit sans nous en ces événements (v.861), parle des [maux] où le ciel plonge (v.879), de la persécut[ion] du ciel (v.893), de la main des Parques (v.1196), divinités présidant à la naissance, à la vie et à la mort des humains, ou encore de l'« astre qui nous donne tels ou tels parents (v.1198). Le vieil Horace s'en remet également aux dieux : laissez faire aux dieux (v.710), Vos frères sont aux mains, les dieux ainsi l'ordonnent. (v.931), Sur leur ordre éternel mon esprit se repose. (v.980), admir[ons] ici le jugement céleste (v.1405). [...]
[...] (Louis Herland, Horace ou la naissance de l'homme, 1952). Comme Œdipe, paradigme du personnage tragique, Horace suit le trajet douloureux qui mène de l'illusion fascinante à l'amère lucidité, après avoir causé la perte de ses êtres les plus intimes. Parmi les êtres que tue Horace, l'un lui assure la gloire, l'autre lui impose l'infamie, mais tous deux le condamnent à la souffrance : c'est un autre lui-même qu'il tue à chaque fois, lié par le sang ou l'estime amicale. L'« éclat 1563) et le brillant (v.1564, 1723) de la victoire sont ternis par l'ombre portée du meurtre : tache (v.1428, v.1685), gloire ternie (v.1583) ou souill[ée] (v.1528). [...]
[...] ( ce resserrement temporel rend plus intense la crise tragique. Camille a consulté l'oracle la veille et Tulle ordonne une cérémonie expiatoire pour le lendemain : tout se concentre dans cette journée intermédiaire. De plus, Corneille place dans la bouche de ses personnages de nombreuses indications temporelles qui tendent l'action : o l'issue de la bataille sera connue aujourd'hui dit Sabine dans la première scène (v.79). o Curiace nous apprend que dans deux heures au plus le conflit entre Albe et Rome sera réglé v.329). [...]
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