I. HORACE OU LA LIBRE SOUMISSION DE CORNEILLE À L'ESTHÉTIQUE CLASSIQUE
A. Vers un plus grand respect des règles classiques en cours d'élaboration
? Un sujet puisé dans l'antiquité romaine : contrairement au Cid trois ans auparavant, Corneille puise ici son sujet dans l'Histoire antique. La principale source d'Horace, et la seule que Corneille ait avouée, est le récit que Tite-Live [-59 ? 17] donne de la guerre entre Rome et Albe dans son Histoire romaine. Il est vraisemblable que Corneille se soit également inspiré de l'historien grec Denys d'Halicarnasse [Ier siècle avant notre ère] et de ses Antiquités romaines, notamment pour le personnage de Valère et le discours du chef albain. Chez le premier, « Horatia » (Camille dans la tragédie de Corneille) est « fiancé à l'un des Curiaces », tandis que chez le second, les Horaces et les Curiaces sont cousins. Corneille propose donc en quelque sorte un juste milieu entre la version de Tite-Live et celle de Denys d'Halicarnasse : dans Horace, les liens entre les Horaces et les Curiaces sont civils (mariages entrelacés entre Horace et Sabine et entre Camille et Curiace) et amicaux (entre Horace et Curiace notamment), mais non héréditaires comme chez l'historien grec.
? Des personnages nobles : la liste des personnages présente les Curiaces comme des « gentilshommes », c'est-à-dire des nobles, et les Horaces sont des « chevaliers romains », c'est-à-dire des membres de l'ordre équestre, proche de la noblesse. Enfin le dernier acte voit l'intervention du roi en personne, avec le personnage de Tulle, transcription francisée de Tullus Hostillius, troisième roi de Rome, qui règne de 672 à 641 selon la tradition.
? Le respect des règles classiques par opposition au dérèglement baroque de la tragi-comédie :
L'unité de lieu : elle est strictement respectée, comme en témoigne la didascalie initiale : « la scène est à Rome, dans une salle de la maison d'Horace. » D'ailleurs, l'abbé d'Aubignac cite dans sa Pratique du théâtre (1657) cette pièce de Corneille comme la seule où « l'unité de lieu (...) soit rigoureusement gardée. » (...)
[...] Hélène Merlin va même jusqu'à lire l'acte V comme la fiction où Corneille fait rejouer à Richelieu le dernier acte de la querelle du Cid, le ministre ne pouvant pas ne pas absoudre Corneille : La tragédie d'Horace elle- même peut se lire comme un véritable travail de citation de la Querelle du Cid et de réponse à l'Académie française, par la réorganisation de tous ses éléments théorico-politiques. Horace, l'équivoque et la dédicace XVIIème siècle janv.-mars 1994). François Lasserre donne pour sa part cette interprétation allégorique du meurtre de Camille : Camille serait, dans l'esprit de Corneille, une allégorie de l'œuvre entière et des conceptions théâtrales auxquelles il faut qu'il renonce, pour adhérer désormais à la doctrine officielle. Dans la pratique de son art, le civisme sévère du jeune Horace est celui auquel il a décidé de se ranger, quoi qu'il en coûte. [...]
[...] En douce France j'y perdrais mon renom. Sur l'heure je frapperai de Durendal, de grands coups. Sa lame saignera jusqu'à l'or de la garde. Les félons païens sont venus aux ports pour leur malheur. Je vous le jure, tous sont marqués par la mort. Roland, mon compagnon, sonnez l'olifant ! [...]
[...] Au-delà des variations de genres et de formes, de la comédie irrégulière L'Illusion comique en 1635 à la tragédie classique Horace en 1640 se lit donc dans le théâtre de Corneille la permanence d'une philosophie théâtrale de la traversée des apparences, selon laquelle la fascinante magie de l'illusion force à un douloureux parcours jusqu'à l'âpre lucidité sur la condition humaine. [...]
[...] La solution est donc politique : seule la raison d'État peut permettre une issue favorable. Au dernier acte, Corneille met donc en scène un roi-juge, Don Fernand dans Le Cid et Tulle dans Horace. En faisant venir le roi dans la maison d'Horace, Corneille montre non seulement qu'il respecte l'unité de lieu, mais aussi que la raison d'État s'introduit dans la famille. Dans Horace comme dans Le Cid, le roi ne prononce ni un acquittement qui consiste dans la reconnaissance de l'innocence d'un accusé ni un non-lieu qui repose sur une absence ou une insuffisance de preuves : le crime est ici bien établi et le criminel nettement identifié les moins sévères lois en ce point sont d'accord, / Et si nous les suivons il est digne de mort v.1737- 1738), mais le crime est aboli, au nom de la raison d'État. [...]
[...] Dans son orgueil excessif aussi, Horace n'est pas sans rappeler le neveu de Charlemagne, proche de lui par son code de conduite essentiellement fondé sur l'honneur. L'idéologie aristocratique remonte aux XIIème et XIIIème siècles avec les chansons de geste et les romans de chevalerie, et la Chanson de Roland dessine déjà la figure du héros noble, fidèle à son roi et soucieux de sa renommée au point d'être prêt à toutes les prouesses, même les plus désespérées. Ainsi, lorsqu'à Ronceveaux, Roland est assailli par une multitude de païens et alors que son compagnon Olivier l'exhorte à appeler au secours le gros de l'armée en sonnant de son cor, Roland préfère affronter seul les ennemis et conquérir ainsi une gloire exceptionnelle. [...]
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