[...] La répétition est omniprésente dans le roman : ce fait stylistique est à rechercher dans une structure narrative elle-même répétitive (réitération des scènes de leçon, comme des scènes dans le café). Dès le début du chapitre I, le lecteur est appelé à se confronter au problème de la répétition et à s'interroger sur l'importance d'un tel procédé. On lit ainsi : « je te l'ai dit la dernière fois, je te l'ai dit l'avant-dernière fois, je te l'ai dit cent fois » (p.8). La répétition est tout autant méthode que procédé. Cependant, on constate bientôt que les formulations répétitives se multiplient : « ce qu'il y a, continua la dame, ce qu'il y a « (p8) ; « quel métier, quel métier, quel métier » (p10) ; « quand même, quand même » (p13). Cette répétition crée une certaine tension. Duras a souvent recourt à la répétition pour intensifier l'idée de durée. Les figures de la répétition n'ont donc pas un sens univoque et systématique : suivant le locuteur qui les porte, elles peuvent signifier aussi bien l'impuissance du langage que la jubilation de la parole, et c'est ce double constat, auquel Duras invite son lecteur dans Moderato Cantabile.
[...] Du point de vue stylistique classique, la répétition était déjà en soi une forme de « maladresse » ; le recours à une expression souvent minimale en est une autre. On remarque que l'économie verbale est présente en particulier dans les dialogues, procédé propre à l'écriture durassienne. On le voit clairement au début du chapitre II. Les échanges se réduisent à des énoncés brefs, souvent nominaux : « là ou ailleurs », « un verre de vin », « rien » (p24). Cette pauvreté syntaxique permet tout à la fois de mettre en scène la banalité et de la mettre en question. Le minimalisme apparent est ainsi paradoxal : le caractère ordinaire des propos suggère déjà la dimension extraordinaire de la situation. C'est par exemple, le rôle des phrases minimales : « je passais », « c'est naturel » (p25). En disant peu, le texte laisse entendre beaucoup : c'est le principe de toute esthétique minimaliste. (...)
[...] Ces énoncés inachevés dénoncent la nature corrompue du langage bourgeois qui, n'osant pas afficher ses idées véritables (autoritarisme et mépris du prolétariat), sait malgré tout les communiquer implicitement et sournoisement. Parce qu'elle même est incline à l'ellipse, l'écriture de Duras analyse, à partir de l'aposiopèse, le fonctionnement implicite de la parole bourgeoise, et en particulier son hypocrisie c'est-à-dire sa façon de dire sans vraiment dire. L'agrammaticalité L'écriture durassienne étend la maladresse jusqu'à produire des énoncés agrammaticaux. On trouve ainsi : Chauvin oublia de commander d'autre vin (p116). [...]
[...] Le mélange des temps correspond au désordre social conduit par le comportement d'Anne : le fleurissement des magnolias sera ce soir achevé. Sauf celui-ci, qu'elle cueillit ce soir en revenant du port. [...]
[...] La tournure interrogative ajoute de l'étrangeté à l'expression. On remarque que le chapitre VII, celui qui comporte le moins de dialogues, se trouve empreint d'agrammaticalité. Beaucoup d'énoncés sont déséquilibrés voire incorrects. Citons par exemple : a la cuisine, on ose enfin le dire, le canard étant prêt, et au chaud, dans le répit qui s'ensuit, qu'elle exagère (p100). Duras mêle le présent, le passé simple et le futur tandis que le reste du roman est écrit au système du passé. [...]
[...] Cette variation déborde sur les chapitres suivants : le tremblement était encore plus fort que trois jours auparavant Le tremblement de ses mains s'atténua un peu (p39). Les répétitions et les variations contribuent ici à produire un effet de tremblement dans l'écriture même, qui lie la musicalité à l'ivresse, tout en faisant du texte une sorte de partition propre à rendre le lecteur sensible à son jeu de modulation successives. Il en va de même quant à la répétition de certains motifs, par exemple l'entrée d'Anne dans le café, chapitre après chapitre. [...]
[...] L'écriture met en scène le divorce entre le cri, seul véridique, et le discours qui se perd en images diffractées, progressivement oubliées. La scansion permet de faire affleurer à la surface du texte une certaine idée du néant : rien ne s'y passe, rien, la nuit (p.48). La répétition du rien conduit à comprendre l'énoncé de deux façons, soit en faisant de la la nuit un simple frustration ressentie par Anne. Duras a parfois recours à des figures de la répétition phonétique, ce qui n'a rien de surprenant dans le cadre d'une pose musicale. [...]
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