L'œuvre de Jorge Semprun a pour finalité de porter l'avenir d'une mémoire collective, celle des déportés de la Seconde Guerre Mondiale. L'écriture n'est pas un choix libre, mais plutôt une nécessité pour faire vivre la fraternité de ces hommes qui ont résisté à la mise en place d'une Europe marquée par les fascismes de nature diverse. Au sein de cette œuvre autobiographique se dégage un roman, Le grand voyage, qui retrace par la fiction le voyage d'un narrateur vers le camp de Buchenwald en Allemagne. Ainsi, l'épisode narré correspond à l'année de la déportation de Jorge Semprun vers le camp de Buchenwald, en 1943. Si le livre est consacré à la manière dont ce voyage est effectué mentalement par le narrateur qui se souvient à la fois des impressions physiques et des anticipations qu'il avait au moment de cet événement, l'Histoire est en fait confrontée par la mémoire de ce narrateur dont le voyage a commencé bien avant sa déportation de France. Il ne s'agit pas pour autant de retracer les souvenirs de l'auteur par le biais d'un être de fiction, mais de créer les compagnons nécessaires pour achever ce voyage. Nous souhaiterions montrer en quoi l'écriture du grand voyage accomplit d'une certaine manière l'expérience de la mort, d'une part la mort fraternelle entre ces déportés et d'autre part la mort collectivement programmée par l'ennemi nazi. Cette expérience de la mort permet de transfigurer le sens de la mémoire qui devient une matière collective que l'écrivain restitue à sa juste mesure. Nous décrirons d'abord la manière dont cette fiction autobiographique installe des êtres qui partagent le même destin puis les effets créés par l'usage du futur dans le passé avant d'évoquer la mise en scène de la fraternité comme être-contre-la-mort.
[...] Pour une part, mon mourir de demain est du même côté que mon être-déjà-mort de demain. Du côté du futur antérieur La mort est un personnage qui se distingue alors de l'horreur des camps et du mal absolu, ce n'est pas elle qui est en cause, mais la manière dont les vivants l'anticipent dans une entreprise systématique et calculée. L'écrivain la transforme en personnage au moyen de la prosopopée et ses récits deviennent l'exposition de la mort fraternelle partagée entre les compagnons solidaires d'un même destin. [...]
[...] La temporalité elle-même est modifiée, le récit unissant à la fois les anticipations du narrateur au moment de son voyage, son vécu après le voyage et son vécu pendant le voyage. L'ensemble correspond certainement au voyage inachevé que poursuit l'auteur et dont l'objectif est de porter la mort des autres et en fin de compte de toute une génération. L'usage des futurs dans le passé Le récit est la tentative de réinvestir des souvenirs et de les explorer tout en ajoutant les anticipations liées à ce qui suit le voyage. [...]
[...] Les projections du narrateur rencontrent le passé de l'auteur et tissent une continuité temporelle. La remembrance[33] des sensations d'antan permet d'explorer à fond un monde enfoui et dont la logique était parfaitement intégrée par les acteurs. La fin du roman est d'ailleurs narrée à la troisième personne du singulier plutôt que la première, la dernière phrase étant très longue pour le personnage du nom de Gérard, qui devient un spectateur de ce voyage insensé et de cette arrivée en musique dans le camp. Jorge SEMPRUN Le grand voyage, Paris, éditions Gallimard, p Op. [...]
[...] Quelle est la ressemblance entre tous ces gens dissemblables qui se font arrêter ? Quelle est l'essence historique commune de tous ces êtres dissemblables, inessentiels la plupart des fois, qui se font arrêter ? Le discours indirect libre permet d'amplifier l'interrogation initiale et de lui donner une coloration existentielle forte. L'anaphore donne la possibilité à l'écrivain de disséquer chaque mot et de contextualiser cette situation historiquement déterminée. Le cadre dans lequel évolue le narrateur est déterminé par la séparation entre ceux qui arrêtent et ceux qui se font arrêter, le présent de vérité générale accentuant le déterminisme historique. [...]
[...] Op. cit., p Op. cit., p Op. cit., p Op. cit., p Maurice HALBWACHS Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, éditions Albin Michel, p Op. cit., p Op. cit., p Op. cit., p Jorge SEMPRUN L'écriture ou la vie, Paris, éditions Gallimard, p Paul RICOEUR, Mars 2007, Vivant jusqu'à la mort, Paris, éditions du Seuil, p Op. cit., p Op. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture