"La femme, dans cet imaginaire sexuel, n'est que support, plus ou moins complaisant, à la mise en acte des fantasmes de l'homme. Qu'elle y trouve, par procuration, de la jouissance, c'est possible et même certain. Mais celle-ci est avant tout prostitution masochiste de son corps à un désir qui n'est pas le sien; ce qui la laisse dans cet état de dépendance à l'homme qu'on lui connaît." Cette phrase de Luce Irigaray montre la répression du désir féminin en tant que telle et son aliénation à des canons symboliques masculins. Le désir féminin, en tant que venue de l'Autre dans le désir, est condamné à devenir un "désir masculin" par procuration. Le corps féminin n'a existé qu'à travers la projection du désir masculin et c'est précisément cela que Luce Irigaray dénonce. La Vagabonde de Colette et Le ravissement de Lol V. Stein de Duras donnent une nouvelle place au désir féminin, particulièrement dans une nouvelle considération de la coïncidence entre l'écriture du corps et le corps de l'écriture.
L'écriture de soi chez Colette permet la restructuration d'un moi et la ressaisie de l'identité du corps féminin. Ainsi, cette écriture que nous pouvons qualifier de strip-tease nous exhibe un corps à la fois manipulé par les regards masculins mais qui en même temps s'affirme indépendamment de ces regards. C'est le travail au corps de l'écriture qui permet d'affirmer une certaine autonomisation du corps féminin. Chez Marguerite Duras, nous avons plutôt l'effacement d'un corps, son déguisement à travers l'écriture qui rend impossible sa détermination. L'écriture ne révèle le corps féminin qu'en le démembrant, le mélangeant à d'autres corps féminins. Le corps s'affirme comme un sujet pluriel au lieu d'être un objet singulier. Mais, il est intéressant d'observer la relation non-fétichiste que Colette et Duras ont vis-à-vis du corps de l'écriture, détaché de la fascination et de tout regard qui se l'approprierait. Or, si l'écriture est essentiellement métaphorique et métonymique chez Colette, si elle brise un système autoréférentiel masculin, elle n'est pas complètement féminine, car Colette ne fait que manipuler et trouer un système symbolique préexistant. Duras, dans Le ravissement de Lol V.Stein, est allée plus loin dans le sens où un autre type d'écriture prend corps. Pour saisir le corps féminin autre, il faut un autre corps d´écriture, il ne suffit pas de pervertir les schèmes d'une écriture masculine.
[...] Le tiret délimite cette zone grammaticale où Lol existe et se situe. Elle a donc en fait un espace propre que le lecteur est incapable de déterminer (l'expression "aux yeux du lecteur" apparaît un peu plus loin). La page d'après ajoute un autre tiret derrière ce "elle dit: là", comme pour borner de manière définitive ce là. La lecture est déstabilisante en ce sens que son corps n'est perçu qu'à travers un désir. "L'ossature admirable de son corps et de son visage se devinait. [...]
[...] Carmen BOUSTANI, L'écriture-corps chez Colette, éditions fus-art, Villenave d'Ornon, p.136. Ibid., p.142. Op.cit, p.719. Marguerite DURAS, Écrire, éditions Gallimard p.15. Ibid. p.24. Ibid. p. Op.cit, p.710. [...]
[...] Il y a un véritable travail de l'écriture au point d'avoir une écriture-corps pour parodier le titre du livre de Carmen Boustani. Cette dernière écrit d'ailleurs que "Le roman semble le correspondant d'un réceptacle matriciel qui peut porter en gestation tout ce que l'imagination a à lui offrir. Sa semence de base reste l'amour, première préoccupation de l'univers féminin."[18] C'est exactement ce que nous avons dans La Vagabonde où Colette écrit une autobiographie romancée où on aurait la transposition directe de son histoire amoureuse avec Willy, George Wague serait Brague et Margot représenterait la marquise de Belbeuf. [...]
[...] L'expression "votre existence" montre que l'"existence" de Renée est uniquement perçue de manière publique. Son espace est d'ailleurs minutieusement décrit: "Je trouve des fleurs dans ma loge, Fossette reçoit une petite auge de nickel pour sa pâtée; trois minuscules animaux fétiches tiennent salon, nez à nez, sur ma table à écrire: un chat d'améthyste, un éléphant en calcédoine, un crapaud de turquoise Tous ces éléments insolites et hétéroclites définissent un certain exotisme féminin, un petit refuge réel doté d'une coloration imaginaire permettant à Renée de s'affirmer sur tous les plans. [...]
[...] Son image apparaît comme le foyer vers lequel tout converge dans le roman. Le regard intérieurement circulaire évoque un repli sur soi, qui, symboliquement, peut se lire dans Renée Néré où nom et prénom sont l'image inversée l'un de l'autre."[8] Cette théâtralité me semble primordiale dans la mesure où par ses différentes attitudes, ses poses, ses gestes, Renée établit un véritable marquage sexuel. L'écriture se sert du principe de renvoi à l'image comme d'une véritable technique littéraire et cela implique par exemple une certaine approche des personnages, présentés dans leur ressemblance. [...]
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