En faisant publier Thérèse Raquin en 1867, Zola comptait sur "un bon succès d'horreur " (lettre à l'éditeur Albert Lacroix), et il est vrai que cette histoire d'adultère et de meurtre n'épargne rien au lecteur : les amants Thérèse et Laurent éliminent le mari Camille en le noyant, après que celui-ci a violemment mordu son assassin au cou pendant la lutte. Laissant passer plus de quinze mois, les meurtriers s'épousent mais leur nuit de noces est gâchée par le remords : le cadavre décomposé, vu à la morgue, les hante. Dans le chapitre XXIII, après plus de trois semaines d'insomnie et d'abstinence, les jeunes mariés tentent enfin de consommer leur union pour trouver un apaisement, mais, dans la seconde moitié, leurs étreintes s'apparentent plutôt à un combat contre la présence de Camille, et contre eux-mêmes, mus par de noires pulsions. Anéantis par l'effort et leur conscience, ils s'avouent vaincus par le noyé qui triomphe et se glisse entre eux (...)
[...] Ils avaient des répugnances, des révoltes nerveuses invincibles. Puis ils ne voulurent pas être vaincus ; ils se reprirent dans une nouvelle étreinte et furent encore obligés de se lâcher, comme si des pointes rougies étaient entrées dans leurs membres. À plusieurs fois, ils tentèrent ainsi de 25 triompher de leurs dégoûts, de tout oublier en lassant, en brisant leurs nerfs. Et, chaque fois, leurs nerfs s'irritèrent et se tendirent en leur causant des exaspérations telles qu'ils seraient peut-être morts d'énervement s'ils étaient restés dans les bras l'un de l'autre. [...]
[...] Et elle se disait qu'elle ne pâlirait plus alors en voyant l'empreinte de ses propres dents. Mais 15 Laurent défendait son cou contre ses baisers ; il éprouvait des cuissons trop dévorantes, il la repoussait chaque fois qu'elle allongeait les lèvres. Ils luttèrent ainsi, râlant, se débattant dans l'horreur de leurs caresses. Ils sentaient bien qu'ils ne faisaient qu'augmenter leurs souffrances. Ils avaient beau se briser dans des étreintes terribles, ils criaient de douleur, ils se brûlaient et se meurtrissaient, mais ils ne pouvaient apaiser leurs nerfs épouvantés. [...]
[...] Il y a bien un acharnement dans l'horreur qui frappe les personnages, et la représentation par le supplice infernal a valeur de sanction. Dans la comparative hypothétique comme si des pointes rougies étaient entrées dans leurs membres rien n'indique qu'il s'agisse d'une sensation des criminels ; pourquoi pas une image née dans l'esprit du narrateur, projection de son désir de punir ? Les sanglots du dernier paragraphe sont eux aussi à interroger : on remarque une nouvelle anadiplose sangloter dernier mot du Et, dans leurs sanglots début du qui montre à quel point les criminels sont poursuivis jusqu'au bout : les larmes ne suffisent pas, il faut encore que dans ces larmes ils entendent les rires et les ricanements de Camille : en relançant le paragraphe avec l'anadiplose, l'antithèse entre sanglots et rires, l'amplification de la phrase (quatre segments de plus en plus longs), le narrateur semble s'acharner sur le malheur qui frappe les époux. [...]
[...] Enfin, raffinement du supplice, il y a un accroissement inéluctable dans l'horreur : Chaque embrassement ne donnait que plus d'acuité à leurs dégoûts ce que dit clairement l'association de la restriction au comparatif, acuité reprenant étymologiquement (l'aiguille en latin) l'image des pointes rougies III. Le Naturalisme à l'œuvre et en question Matérialisme et méthode expérimentale - Cette scène va tout à fait à l'encontre de l'idéalisation de la passion amoureuse. Se voulant observateur et expérimentateur Zola peut écrire La vérité, comme le feu, purifie tout (article du Figaro du 31 janvier 1868). [...]
[...] Le feu, métaphore de la passion ou, comme ce pourrait être le cas ici, de l'érotisme, est ainsi présent de bout en bout comme manifestation de la damnation. Par le jeu des sonorités et comme par contamination, embrassement fait aussi penser à embrasement, et ainsi au brasier mentionné, lequel rappelle les baisers échangés. Le feu donne aussi la seule couleur de la scène (qui a lieu la nuit dans la chambre) : le rouge du fer (l.10) ou des pointes (l.24). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture